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Considérations sur la restitution à Haïti de plus de 400 objets antiques pillés et transportés de manière illicite aux États-Unis
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Considérations sur la restitution à Haïti de plus de 400 objets antiques pillés et transportés de manière illicite aux États-Unis

Par Iléus Papillon*

Ils sont plus de 400 objets de haute valeur historique, culturelle et patrimoniale que les États-Unis ont remis au gouvernement haïtien, le vendredi 14 février 2020 à Port-au-Prince. La cérémonie s’est déroulée au Bureau National d’Ethnologie(BNE) au Champs-de-mars.

En présence du Premier Ministre a.i, Jean Michel LAPIN, du Directeur général du Bureau National d’Ethnologie, Érol Josué, de l’Ambassadrice des États-Unis en Haïti, Michele Jeanne Sison, de quelques agents du FBI(Federal Bureau of Investigation), de la presse, d’étudiants et d’autres invités spéciaux, une importante collection de biens culturels et historiques d’Haïti ont été officiellement retournés en Haïti.

Les États-Unis et Haïti ont une longue histoire de collaboration. L’Ambassadrice des États-Unis, Madame Michele Jeanne Sison, tout en se disant très honorée d’être présente à cette cérémonie, a tenu à souligner que cet acte témoigne « du respect des États-Unis pour la culture, le patrimoine et les œuvres d’art haïtien. C’est une collection à couper le souffle, a-t-elle soutenu, tout en rappelant que ces objets très précieux représentent un lourd héritage historique pour cette île fascinante.»

 

La diplomate a salué les agents spécialisés du FBI qui ont participé à restituer ces objets pillés. Elle a toutefois rappelé combien les États-Unis sont intéressés à la préservation du patrimoine haïtien. À juste titre, Madame Sison a signalé que son pays a déjà débloqué plusieurs centaines de milliers de dollars américains dans de différents projets de sauvegarde du patrimoine haïtien dont la restauration de la maison (de style Gingerbread) appartenue à la légende haïtienne décédée, la danseuse Viviane Gauthier, et pour des travaux de sauvegarde de la Citadelle Laferrière, monument classé Patrimoine mondial par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la Culture (UNESCO).

Le trafic illégal des biens culturels fait mal aux sociétés humaines, car il prive les peuples de leurs biens précieux qui peuvent aider à reconstituer leur passé. Les États-Unis sont plus que déterminés et résolus à combattre toute forme de vol de biens culturels dans le monde. Des unités du FBI sont créées et instruites pour lutter contre ces genres de crimes. Et c’est dans cette dynamique que ces objets volés sont remis à Haïti.

« Cette démarche est inspirée des recherches que menait, dans les années 1930, Jacques Roumain, ethnologue haïtien et l’un des initiateurs de la création du Bureau National d’Ethnologie(BNE) », a, d’entrée de jeu, déclaré Érol Josué, Directeur général du BNE. Il a profité de cette cérémonie pour saluer la décision prise par les États-Unis de restituer ces pièces qui sont des éléments importants dans la construction identitaire du peuple haïtien. Pour le Directeur du BNE, un bien culturel est avant tout un « marqueur social pouvant lier les Haïtiens ». « Un peuple ayant une histoire faite de voyage, de douleur, d’esclavage mais aussi de résistance, doit chercher des éléments dans ses traditions qui puissent lier ses fils au lieu de plonger dans de conflits interminables », a-t-il fait savoir. Ainsi, le patrimoine peut être un élément déclencheur d’unité nationale.

Le Premier Ministre a.i, également Ministre de la Culture et de la Communication, Jean Michel Lapin, a, pour sa part, félicité le Bureau National d’Ethnologie, le Dr Joseph Sony Jean, le gouvernement des États-Unis, l’Ambassadrice et son staff, pour avoir contribué à la réalisation de cet évènement.

«Ces biens seront précieusement gérés », a promis Monsieur Lapin. Selon lui, les États-Unis et Haïti ont développé une grande relation de confiance et d’amitié tout au long de leur histoire  avec Haïti. Ces objets remis vont être classés patrimoines d’Haïti, a avisé le Chef du Gouvernement, car « ces artefacts ont non seulement une valeur pour l’humanité, mais aussi une valeur pour notre humanité ». Le gouvernement Haïti s’estime heureux, selon lui, de recevoir ces pièces. « Je suis très sensible de cet intérêt manifesté par les États-Unis en restituant ces objets. Je suis très reconnaissant à l’endroit de l’Ambassadrice des États-Unis en Haïti, Michele Jeanne Sison.»

L’Ati National du Vodou, Carl-Henry Desmornes, présent dans cette cérémonie, a été interrogé sur le sens de cette activité. Le Chef suprême du vodou croit que le fait de restituer ces biens à Haïti, est une bonne démarche. Chaque œuvre créée par un artiste a deux dimensions : visible et invisible. « En volant une œuvre, on risque également de partir avec la partie invisible de celle-ci. »

Suivent les noms de quelques pièces restituées à Haïti

  • Pierre à trois pointes
  • Duho en bois
  • Spatule vomitive anthropomorphique
  • Zemi zoomorphique
  • Zemi anthropomorphique
  • Effigie en pierre
  • Masque en pierre
  • Stone Collar
  • Hache cérémonielle sculptée
  • Hache pétaloïde à lame
  • Inhalateur anthropomorphique
  • Hache cérémonielle à double tranchant
  • Collier en terre cuite (période coloniale)

Midson Jean Batard a lui aussi réagi. Il est un étudiant haïtien qui fait actuellement ses études en patrimoine (niveau maîtrise), dans le cadre du programme DYCLAM+, une mobilité européenne dans quatre universités (Université  Jean Monnet Saint Étienne en France, InstititutoPlitécnico de Tomar-Maçao, Portugal, université Babes-Bolyai, Cluj-Napoca, Roumanie et Université de Napoli, Federico II, Italie). Il nous rappelle que depuis le discours du président français Emmanuel Macron, le 28 novembre 2017, à Ouagadougou, sur la restitution des biens culturels mal acquis durant la colonisation en Afrique, les débats sur la restitution sont très médiatisés en Europe, notamment.

En Haïti, cette question a été timidement abordée et ne fait pas objet de débats universitaires. On entend couramment à la radio la fameuse question de restitution de la dette de l’indépendance. Un débat d’ordre idéologique, historique et politique agité par l’ancien président haïtien, Jean Bertrand Aristide dans les années 2000. Depuis le départ forcé d’Aristide en 2004, il semble que les débats sont bloqués dans cet angle-là.

Oui. C’est important de restituer la dette de l’indépendance. Mais il faut faire bouger plus de lignes. Il faut tout restituer à Haïti. Et les biens et la dette. La restitution des biens culturels est fondamentale pour Haïti. C’est une question d’utilité sociale, historique, culturelle et politique. Ça concerne directement l’identité haïtienne. Car les biens culturels et historiques sont des témoins de notre histoire, l’expression de notre passé.

Cependant, en restituant ces biens culturels à Haïti, il convient d’aborder une question fondamentale: la conscience patrimoniale des citoyens haïtiens à l’égard des monuments historiques, les sites, les vestiges, les lieux de mémoire et les biens culturels. Quel est donc le symbolisme ou le sens qu’un monument pour les Haïtiens ? Peut-on restituer sans pouvoir tenir compte d’une conscience patrimoniale dégagée? Comment les Haïtiens s’approprient-ils des biens patrimoniaux? Trouvent-ils sacrés? Il y a une politique de protection effective de nos biens patrimoniaux? N’est-il pas le moment de lancer une campagne d’éducation à la sauvegarde, au respect et à la mise en valeur de l’ensemble du patrimoine haïtien? Et quelle est la place de la culture dans la vision politique de l’État haïtien?

Dans les derniers budgets nationaux, depuis les années 2000, seulement 1% est alloué au Ministère de la Culture et de la Communication. Ça nous donne déjà une idée de l’importance de la culture pour l’État. Tel est le cas pour le «kakaaran» alloué à la recherche académique, -1% du budget national. Alors qu’il existe depuis 2006 un programme d’Histoire, Mémoire et Patrimoine à l’Université d’Haïti (niveau maîtrise) dirigé par Dr Samuel Régulus qui a lui-même réalisé ses études de doctorat en Ethnologie et Patrimoine à l’Université Laval au Canada, après avoir été étudiant du dit programme.

Force est aussi de constater qu’avec l’introduction du cours de Patrimoine dans plusieurs entités de l’Université d’État d’Haïti dont la Faculté d’Ethnologie, le Rectorat de l’UEH ouvre la voie à la production d’une réflexion académique relative à la notion du patrimoine

Il est toutefois important de signaler qu’au cours de ces dernières années, le Musée du Panthéon National d’Haïti (MUPANAH) et le musée du Bureau National d’Ethnologie (BNE), deux institutions étatiques au plein cœur de la capitale, ont été les cibles des attaques humaines dues au conflit politique et autres. Alors que ces deux musées se trouvent dans une zone qui devrait être ultrasécurisée. Ils sont à quelques mètres du Palais National qui lui-même a été détruit au 19e siècle et au début du 20e siècle suite à des conflits politiques. Comment demander de protéger les biens patrimoniaux d’Haïti si l’État haïtien n’est pas à même de protéger la zone la plus sensible du pays?

Peut-on restituer pour voler à nouveau ou pour détruire dans des conflits politiques? Avant tout, quelles sont les nouvelles dispositions prises par les instances concernées pour mieux protéger ces biens et combattre le trafic illégal auquel ils font l’objet? L’ISPAN, le BNE et le Ministère de la Culture et de la Communication, sont responsables de cette tache… mais avec quels moyens, quelles ressources? Existe-il des textes de lois voté par le parlement haïtien pour la protection des biens culturels?

La première loi prise pour la protection du patrimoine d’Haïti de 1940. Cette loi précède toutes les conventions de l’UNESCO sur la protection des biens patrimoniaux. Bizarrement, cette loi n’est jamais ratifiée par le Parlement haïtien depuis quatre-vingt (80) ans. Pourquoi cette indifférence du Parlement haïtien à l’endroit du patrimoine haïtien.

Il est urgent de poser cette problématique en recevant ces objets pillés/volés.

Tout en félicitant le geste du gouvernement américain, nous sommes très préoccupés de l’état de sauvegarde des objets d’importance d’Haïti. On a comme exemple le musée du Bureau National d’Ethnologie(BNE) au Champs-de-Mars, attaqué et pillé à plusieurs reprises. Si l’État haïtien n’est pas en mesure de conserver et de protéger les biens culturels existants dans le pays, sera-t-il  en mesure de protéger les biens restitués?

Il est plus qu’urgent de poser cette problématique à l’heure où Haïti traverse une situation chaotique. Car un peuple, c’est avant son histoire, ses biens culturels, son passé, sa mémoire et l’ensemble de son héritage collectif.

PS : il a été formellement interdit de prendre les photos des objets avec les téléphones portables(seuls les journalistes ont été autorisés à cet effet, avec de caméras professionnelles. L’Observatoire Patrimoine invite toutes les personnes intéressées à visiter ces objets restituésplacés au Musée du Bureau National d’Ethnologie (BNE) au Champs-de-Mars.

Iléus PAPILLON

Master en Histoire, Mémoire et Patrimoine

Université d’État d’Haïti dans le cadre d’un programme d’échange avec l’Université Laval, Québec, Canada

Observatoire Patrimoine

Une structure œuvrant dans la promotion du patrimoine haïtien.

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