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La centaine d’amour ou la Célébration du corps !
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La centaine d’amour ou la Célébration du corps !

Par Grégory Alexandre

Notre être spirituel aussi bien que notre être physique, notre corps est l’effet d’une horloge qui bat. Le corps, point central de tout chant, de toute célébration, qui dit la vie à partir du plexus, joue un rôle fondamental dans l’écriture poétique du XXème s.

Depuis l’expérience de Galvani, des découvertes de Freud en Psychanalyse sur le rôle de la sexualité dans les cycles de la vie, les débats philosophiques et biologiques proposés sur les sons, les fluides dans le système nerveux comme discours, dans l’Art poétique (1907) de Paul Claudel, on assiste à une  réhabilitation du corps dans le langage poétique.

Ce corps ayant souffert, sous l’égide, des valeurs canoniques chrétiennes. Du coup, les sentiments amoureux sont décrits dans une longue perspective psychologique, morale ; depuis la Préciosité jusqu’à la révolution bourgeoise, où le corps est inscrit dans un vaste champ du libéralisme, du libertaire, sauf, il va falloir attendre véritablement le XXème siècle, pour que celui-ci, puisse être un sujet de célébration (On parle ici, de réhabilitation et de célébration, en faisant référence aux dionysiaques grecques).

La centaine d’amour de Pablo Neruda est ce bouquet de sonnets, (genre dérivé de Pétrarque et renouvelé par Neruda en quelque sorte) qui chante le corps, celui de la chanteuse Mathilde Urrutia, rencontrée, en 1952 durant son séjour à Naples puis à Capri, qui sera d’abord sa maitresse puis sa troisième femme et son grand amour, c’est à elle, d’ailleurs, que tout le recueil fut dédié. Publié sous le titre original : cien sonetos de Amor en octobre 1959, et traduite en français par le Club des Amis du Livre progressiste en 1965 ; et en 1977 pour la chronologie, aux éditions Gallimard, dans les deux langues (Espagnol et Français).

L’œuvre s’ouvre par cette dédicace en guise de préface, à M. Urrutia, qui déjà, constitue, un poème en lui-même. Un guide, le représentatif de l’esthétique du recueil, un décryptage pour celui ou celle qui veut bien goûter aux bonheurs qui lui n’est pas donc destinés ; seule la poésie, a en effet, ce don de partage.

De ces vestiges à l’extrême adoucis j’ai construit par la hache, le couteau, le canif, ces charpentes d’amour et bâti de petites maisons de quatorze planches pour qu’en elles vivent tes yeux que j’adore et que je chante.(1)

Divisée en quatre parties correspondant aux différents moments de la journée : matin, midi, soir, nuit. Les poèmes évoquent le corps, les désirs, les doutes, les souffrances, les souvenirs, le bonheur auprès de la tendre Mathilde ; en un style limpide, tranchant, recherché, utilisant des analogies, telles : des comparaisons sans lieux communs, sans fioritures, sans facilités. Des métaphores taillées, sculptées sur mesure pour rendre un texte dans un vocabulaire étrange et foisonnant parfois, digne du génie de Neruda. La centaine d’amour, est un recueil, à lire à haute voix, pour faire écho avec les cris, les émotions, les déchirements du poète.

Je ne t’aime pas telle une rose de sel,
Topaze, œillets en flèche et propageant le feu :
Comme on aime de certaines choses obscures,
C’est entre l’ombre et l’âme, en secret, que je t’aime… (2)

Quoique la thématique est unique : l’amour. Elle arpente la naissance de celui-ci, les dédales, et les démons du soir dans le sillage de la contradiction et des oxymores qui forment la construction des fibres stylistiques du texte comme dans une métaphysique des actes d’où en découle la dialectique du sentiment amoureux.

Sache que je ne t’aime pas et que je t’aime
Puisque est double la façon d’être de la vie,
Puisque la parole est une aile du silence,
Et qu’il est dans le feu une moitié de froid.(3)

Pour conclure, l’intimité ici, n’est pas une illusion, ni un besoin de se cacher par peur de soi et de l’autre. Elle une invitation. L’autre n’est jamais décrite, ni comparée aux objets tels : le diamant, l’or, l’argent, l’Emeraude…, comme ont l’habitude les poètes utilisant le genre de sonnet précieux, érotique, elle est comparée aux éléments de la nature brute notamment : le bois, le feu, le pain, les montagnes… faisant de ces sonnets de bois comme il les nomme, un chant simple et rustique de la beauté du monde.
Les deux amants heureux ne font plus qu’un seul
Pain,
Une goutte de lune, une seule, dans l’herbe,
Ils laissent en marchant deux ombres qui s’unissent,
Dans le lit leur absence est un seul soleil vide.(4)

Quoiqu’aucune traduction n’est fidèle, surtout en poésie, où le souffle, l’essence passe d’abord dans les émotions du poète pour qu’ensuite s’amenuiser dans les mots. Les lecteurs francophones peuvent, jusque-là, sentir la vibration, la pure envie de dire, d’exploser son soi dans les particules reconstituées de l’autre, dans cette odyssée que nous offre Pablo Neruda, dans la Centaine d’amour.

Pablo Neruda, nom d’emprunt de Ricardo Eliécer Neftalí Reyes-Basoalto, est un poète, écrivain, homme politique, penseur et diplomate chilien, né le 12 juillet 1904 à Parral, mort le 23 septembre 1973 à Santiago de Chili. Prix Nobel de littérature en 1971.

Quelques œuvres de Neruda

– Crépusculaire (1923)
– Vingt poèmes d’amour et une Chanson désespérée (1924)
– Résidence sur la terre (1933-1935)
– L’Espagne au cœur (1937),
– Le Chant général (1950),
– Tout l’amour (1953),
– Odes élémentaires (1954),
– Vaguedivague (1958)…

 

(1) Paul Claudel, Art poétique, ed. Gallimard, 1984.
(2) Extrait du sonnet 11.
(3) Extrait du sonnet 44
(4) Extrait du sonnet 48

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