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5 questions à Charlito « JAL » Louissaint autour de son livre « Mach Minwi »
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5 questions à Charlito « JAL » Louissaint autour de son livre « Mach Minwi »

 

Par Lord Edwin BYRON

« Mach Minwi » est le titre du recueil de poèmes de l’enseignant de belles lettres et de philosophie, Charlito « JAL » Loussaint, paru chez les Editions de la Rosée. Le journal Sibelle Haiti s’est entretenu avec l’auteur qui, selon plus d’un, propose un bel exercice de création où la poésie, selon une approche  rimbaldienne, se veut « dérèglement des sens », et le poète,  « une âme qui se fait écho des autres ».

 Sibelle Haiti (SH): Etre poète, c’est, en quelque sorte,  s’exercer envers ou contre quelque-chose, et de toute façon, on identifie assez souvent le créateur par son engagement et/ou ou son instinct naturel de liberté, d’où vient cette motivation pour cette quête ?

 Charlito Louissaint (C.L): Ma motivation pour la quête poétique est variée, plurielle. Il faut d’abord la voir comme l’expression d’une sensibilité esthétique, pour reprendre un terme cher à Jacques Gourgues, mon ancien professeur à l’Ecole Normale Supérieure. L’on dira dans ce contexte premier que j’écris par pur besoin artistique. Mais, si l’on approfondit cette motivation, on verra également qu’il y a ce besoin inlassable de capturer et de partager des émotions fortes, des histoires, disons mieux, des faits qui ne valent pas la peine de se retrouver un jour dans un livre d’histoire ; de livrer des perceptions du réel qui me traversent quand vient minuit.

Enfin, ma quête poétique est une rébellion, une contestation sauvage, qui ne dit pas son nom, un anticonformisme gonaïvien dont il ne reste que des vestiges.

Je l’ai exprimée cette quête de la manière la plus libre possible en jonglant non seulement avec les mots mais avec ma pensée, avec les idées qui accompagnent les mots.

S.H : Dans « Mach Minwi », il y a un côté perçu comme un va-et-vient narratif. Ce que Suzanne Allaire traduit dans son livre intitulé « La parole de poésie » comme étant l’aventure du moi. Pourquoi le choix de jumeler la poésie avec un peu de lodyans, si tu me permets cette appréciation, vu qu’on se sent baigner, en parcourant ton recueil, dans une sorte de récit en demi-teinte?

C.L : Le recueil « Mach Minwi » doit être lu, et c’est ce qu’il est , comme un exemple de poésie narrative, qui utilise des éléments de la tradition orale haïtienne, tels que le lodyans, pour raconter en un poème très long , une suite d’histoires , des fois respectant un ordre chronologique mais , en certains endroits vous plongeant même dans  la préhistoire ou l’univers biblique .

Cette poésie narrative met en scène des personnages du milieu, dans des événements connus, peu ou assez médiatisés . Ceux qui ne sont pas du milieu la liront avec une loupe fictive.

« Mach Minwi », se situe à la croisée du lodyans, de l’histoire et de la poésie. Ce texte équivoque dès le titre m’a donné l’opportunité de construire, via ce va-et-vient narratif, une petite mémoire collective, bien que fragmentée.

« Mach Minwi » est un texte qui met en avant l’expérience explicative de la nuit où les voix ordinaires se taisent pour être remplacées par de multiples voix et points de vue d’une communauté inconnue, imaginée.

En associant la poésie aux éléments narratifs, j’ai créé ce qu’on peut une tension entre la forme et le contenu, une tension littéraire entre la musicalité et la beauté du créole comme langue poétique à part entière. C’est cette tension, présente dès la préface, signée Dayana DUVIL , qui nourrit l’énigme , le mystère  , pousse le lecteur à explorer les multiples lectures , les fines nuances de sens et de signification qui se cachent derrière les mots et les idées.

Cette tension offre à chaque lecteur qui termine « Mach Minwi » une expérience esthétique et émotionnelle intense et unique.

S.H : L’activité poétique est considérée pour certains comme solitaire. D’autres la voient comme une besogne nocturne. Je crois que les deux en valent la peine. Parle-nous un peu de tes petites habitudes de création.

C.L : L’activité poétique, chez moi, est un tant soit peu solitaire. Mais, je ne dirais pas que j’ai travaillé exclusivement seul. « Mach Minwi » est l’écho des mots de ces « jamais dodo », des infatigables rapporteurs d’événements qui peuplent le pays et qui utilisent mon canal pour écrire et parler. En un mot, ils m’ont inspiré, contribué au contenu mais tout est venu véritablement de la nuit.

Au niveau de la forme, non ! Au niveau de la création de la tension dont je parlais tantôt, non! Tout écrivain nécessite une grande concentration et une profonde réflexion pour accoucher une œuvre. En partant de cette idée, je dois reconnaître que minuit (l’heure) me permet de trouver l’environnement calme et propice à la réflexion, à la création.

La nuit est ma Muse depuis mon plus jeune âge. La nature pourrait m’aider également dans cette évasion créatrice mais je n’ai pas encore tenté l’expérience. Pour avoir combattu toute mon adolescence  ma peur de l’obscurité, de la claustrophobie et du silence, je fais aujourd’hui de la nuit ma source de contemplation et de création. Cette solitude de la nuit, que ma grand-mère Françoise Lucien venait souvent déranger, m’apporte depuis plus de vingt ans la réceptivité efficiente aux idées et aux émotions qui me viennent de partout.

S.H: Aujourd’hui, avec « Mach Minwi » tu proposes une esthétique au plus près de l’indéfinissable tumulte qui traverse notre quotidien.  C’est en quelque sorte un exercice non négligeable dans le combat contre le silence et l’incohérence dans lequel tu t’identifies en tant que poète. Travailles-tu déjà sur un /de nouveau.x  projet.s d’écriture?

C.L: « Mach Minwi » a inauguré une quête : la capture de  l’inexprimable, le don d’une voix à ce qui est souvent silencieux ou incohérent. Je ne peux pas m’arrêter à ça, le travail ne fait que commencer . Il y a de nouveaux projets :

– Défilée et le sac (poésie)

– Réincarnations (roman)

– La Bible pratique

Mais, il y a également un superbe projet qui est à la phase d’écriture. Il s’appelle « Chantiers Écritures » et il doit servir de tremplin à l’écriture dans la région, à tous les niveaux.

S.H: Depuis un certain temps, un désintéressement s’accuse en ce qui concerne la consommation de poésie. Et ceci, même dans les écoles, on constate que la poésie fait rarement objet de lecture.  Que conseillerais-tu, en tant qu’enseignant de  littérature  et poète, aux promoteurs littéraires, aux responsables d’écoles et aux maisons d’éditions à ce sujet, pour contrer ce relâchement?

C.L: La poésie est un art important qui peut offrir une riche expérience émotionnelle et intellectuelle à ceux qui la lisent ou la pratiquent . Pour encourager l’intérêt pour la poésie, je recommanderais :

– l’organisation d’événements  du genre UPAG Livres ou Livres en Liberté ;

– l’organisation de lectures publiques, d’ateliers de poésie et des concours de poésie, comme cela se faisait dans le temps pour des occasions comme la Noël, la fête des Mères, la fête du Bicolore ou la Bataille de Vertières.

Les promoteurs littéraires et les responsables d’écoles peuvent organiser ces événements pour inciter les gens à lire et à écrire de la poésie. Je proposerais également d’encourager l’enseignement de la poésie dès la cinquième année. Reste aux responsables d’établissements de le permettre en fournissant aux professeurs les ressources pour un tel enseignement, pour le développement d’une culture plus ou moins nouvelle.

Le projet « Chantiers Écritures » fera un pas en ce sens mais cette initiative, si elle n’est pas accompagnée, ne sera qu’une bien légère goutte d’eau de création dans l’océan de la paresse intellectuelle.

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