Now Reading:
5 questions à Erickson Jeudy, le « vanitéiste » !
Full Article 5 minutes read

5 questions à Erickson Jeudy, le « vanitéiste » !

Par Jean Emmanuel Jacquet

Dans notre rubrique 5 questions à un.e professionnel.le, nous avons rencontré le jeune professeur d’université, Erickson Jeudy, autour du thème de la vie chez nous, en Haïti, partant du lieu du fonctionnement de la société et des politiques. Erickson Jeudy surnommé « le vanitéiste », détient un Master en philosophie politique et enseigne à l’Université. Il est à la fois chercheur et créateur.

SiBelle Haïti: Aujourdhui, la vie peut avoir plusieurs conceptions, à regarder le fonctionnement de l’individu dans notre société. Globalement, quel est votre lecture en tant que philosophe ?

Erickson Jeudy: Mon point de vue est avant tout celui d’un être humain sans titre, sans profession à proprement parler. C’est de ce point de vue là que je veux proposer un élément de réponse, mais aussi en tant que citoyen d’une société donnée. Je ne sais pas trop pourquoi – je peux certes avoir des suspicions- qu’à chaque fois qu’il est tant de parler de la vie, je préfère parler de la mort. C’est peut-être parce que c’est la seule chose qui soit vraiment digne d’une attention poussée. Pour moi, vivre -surtout dans notre société- c’est accepter ce risque de côtoyer la mort, de sentir son souffle, d’entendre sa voix parler et de la saisir quand le temps est venu de mourir ou d’être saisi par elle.

Ce que je veux dire, c’est que la vie c’est de l’incertitude absolue. La contingence est tellement évidente que l’on n’est pas sûr que demain existera. Pourtant, on vit avec la tête dans le futur. On fait des projets, on se fait des promesses, on fait des promesses à autrui. C’est comme si on ignorait la vulnérabilité de l’être humain premièrement et celle de liée spécifiquement au bordel qui règne ici, en Haïti. Pourtant il faut vivre. Je dis vivre. Cela veut dire qu’il faut prendre le risque de faire de chaque instant quelque chose d’immense.

Laissez-moi vous faire un portrait de ce que je raconte. La funambulie ! voilà l’image du vivre, surtout en Haïti. Le funambule qui danse/marche sur la corde sait pertinemment qu’il prend un risque. Mais il en fait quelque chose d’intense et de beau, car la vie n’est belle que dans le risque.

S.H. : On doit ainsi comprendre que le risque est risque devant soi. Ainsi, n’est-il pas aussi une forme d’aliénation même de la vie ? Si on tient compte des divers niveaux de risque qu’il y a chez nous.

E.J. : Le risque n’aliène pas la vie. Il en est une composante, ce qui conduit l’individu vers sa subjectivation. C’est par la prise consciente du risque que le passage d’individu à sujet s’effectue. Le risque peut-être politique/économique/historique/artistique, etc. Le sujet devient alors sujet politique/économique/historique/ artistique ou autre.

Ce qui peut être considéré comme aliénation, c’est le refus de prendre consciemment et délibérément le risque. Quand on est dans le « tout était écrit là-haut », on ne prend pas de risque. On n’existe pas. On n’est ce que l’on est. Cependant, dans et par le risque, on est devenu (ou devient encore) ce que l’on peut être.

L’image du funambule refait surface ici. Il a pris le risque de danser sur une corde, il est devenu funambule. Toutefois, « ce qui était/est écrit là-haut », c’est qu’aucun être humain ne peut danser sur une corde sans perdre l’équilibre. Chez nous comme ailleurs, certains refusent de prendre des risques.

S.H. : Bon, vous êtes aussi metteur en scène et poète. Comment représentent-elles la vie, tes mises en scène ainsi que ton écriture ?

E.J. : C’est surtout la mort que je mets en scène. Dans « Les cicatrices du temps », «Travèse» ou « Transmutation », c’est l’évidence de la mort, comme évènement et aussi comme état de conscience, qui est avant-plan. Evidemment à l’intérieur des textes, il y a toute une poétique ce risque de vivre et aussi ce fantasme légitime d’échapper à la mort.

Quand je parle de sexe, d’amour, d’orgasme, d’extase, du beau, c’est de la mort que je parle et non pas de la vie. Car qu’est ce que le sexe si ce n’est pas une métaphore de la mort ? qu’est-ce qu’un orgasme si ce n’est pas celle du trépas ? Le corps de la femme ! cette merveille qui me fait me sentir si minuscule, si insignifiant. Quelle meilleur alarme pour nous rappeler que nous ne sommes que faiblesse !

Pourtant, le beau qui est à la fois dans l’orgasme, dans les fantasmes, dans l’extase, dans le trépas ou même dans la beauté, c’est ce qui représente la vie dans mes textes et mises en scène. C’est l’expression même de l’engagement dans le risque. Risquons un peu, mais dans la beauté !

La vie n’a pas de place expresse dans mes créations. Elle est reconnue dans, par et pour le beau.

S.H. : Vous sortez votre nouveau recueil « 1 dous 1 cho ». Tout y est : vie, beauté, mort, orgasme ?

E.J. : Tout y est ! La mort/la vie/les fantasmes/la nudité/la colère/le discours politique… Tout y est. C’est la beauté qui leur sert de trame. La poésie est une toile peinte de tous les motifs, le seul talon d’Achille de la mort !

SiBelle Haïti: Vos projets ?

Erickson Jeudy: Vivre jusqu’à la mort/ Philosopher/créer/aimer/prendre des risques/me battre.

.

Laisser une réponse

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Input your search keywords and press Enter.