Par Mérès Weche
Le vendredi 31 mai 2019, dans le cadre de l’émission « Intersection » de Radio Caraïbes, j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt un dialogue entre l’économiste, Dr Thomas Lalime et le journaliste Jean-Monard Métellus, sur le phénomène de la dévaluation de la gourde par rapport à la devise américaine, selon un taux actuel de 1 dollar pour 92 gourdes, atteignant même 93.5 gourdes pour des montants assez importants ; une décote de la monnaie nationale qui est qualifiée de descente aux enfers.
Dr Lalime en a profité pour faire le point sur les récentes déclarations du Gouverneur de la Banque Centrale d’Haïti, M. Jean Baden Dubois, qui parle d’injecter, d’ici au 30 septembre 2019, quelques 150 millions de dollars, pour tenter de freiner cette escalade de la gourde, devenue « zorèy bourik », pour reprendre un terme employé au XIXe siècle, pour désigner notre devise, dans une situation socioéconomique aussi désastreuse que celle d’aujourd’hui.
Dans n’importe quel milieu financier du monde, parler de la dépréciation galopante d’une monnaie nationale équivaut à l’évocation d’un cauchemar. Les gestionnaires les plus avisés ont du mal à supporter ces dangereuses fluctuations à la baisse qui menacent leurs avoirs. Qu’on se rappelle, sur le plan international, le fameux effondrement économique de 1987, qui avait vu se précipiter les banques centrales pour éviter la plus grande crise monétaire de tous les temps, qui s’annonçait pire que le grand krach de 1929.
En 2002, la question déjà en gestation du terrorisme international faisait moins peur que la déprime économique mondiale, quand surtout s’y ajoutaient des scandales à caractère politique, comme celui qui touchait quelques grands dignitaires américains, accusés d’avoir manipulé les comptes du groupe pétrolier Halliburton. À cette époque, des milliards de dollars partaient en fumée en quelques séances boursières sur le marché international, et certains prédateurs financiers s’apprêtaient à s’enrichir davantage, en lorgnant de bonnes actions dans le décalage entre l’état de l’économie mondiale et celui des marchés boursiers. Dans un tel état d’esprit, la cupidité se présente comme une épée tranchante à la gorge de ceux et celles qui en souffrent au bas de l’échelle sociale.
En Haïti, la dépression économique qui sévit aujourd’hui, assortie également de scandales financiers, comme Pétro Caribe et Dermalog, prend de plus en plus une dimension psychologique qui avoisine la déprime humaine. Si pour certains, c’est le temps de spéculer, de thésauriser et de faire de bonnes affaires, pour d’autres, c’est la mort dans l’âme de ne pouvoir satisfaire les besoins les plus primaires, comme le boire et le manger.
Pendant que le billet vert fluctue à la hausse, pouvant même atteindre en quelques heures les 100 gourdes et plus pour 1 dollar, les petites bourses ressentent dangereusement les effets désastreux de l’augmentation du coût de la vie; c’est la flambée des prix à la consommation, alors que le chômage fait rage à l’échelle nationale. Les pauvres gens ne savent plus à quels saints se vouer.
Pour revenir au débat entre Dr Lalime, un autre économiste, et le meneur de jeu à l’émission « Intersection » de Radio Caraïbes, le journaliste Jean Monard Métellus, la récente déclaration du Gouverneur de la Banque Centrale aurait pour effet d’éviter au pays une imminente débâcle économique. Cependant, la question qui se pose est de savoir si le secteur industriel et du grand commerce va emboiter le pas, en agissant sur la tendance au marché noir, en réduisant les profits – à défaut de stabiliser les prix -, en cessant les spéculations, et même en arrivant à contrer la concurrence déloyale ? L’intervention corrective de la Banque Centrale doit avoir pour corollaire une attitude moins affairiste de la bourgeoisie marchande.
Il y a environ vingt-ans, en dépit d’une crise sociopolitique intenable, les familles haïtiennes trouvaient d’heureuses compensations dans l’économie solidaire, via les coopératives, qui soutenaient le commerce informel, et l’on sentait même une baisse de régime dans les voyages clandestins vers les côtes floridiennes et bahamiennes. La tendance se réactive aujourd’hui, après les désarrois enregistrés en Amérique du Sud.
En tout état de cause, il serait nécessaire que cessent ces théâtres politiques de mauvais goût, pour offrir un meilleur spectacle à la face du monde, en réglant nous-mêmes nos différends, dans « l’union qui fait la force », et non dans cette désunion qui fait de nous d’éternels comédiens et des quémandeurs condamnés à l’assistanat international sous toutes ses formes.