Par Stéphane SAINTIL
La première conférence de la quatrième édition du festival de dramaturgie contemporaine En Lisant a bien tenu ses promesses : questionner le discours politique en Haïti et déceler les mécanismes qui le sous-tendent.
Organisée à l’Institut Français en Haïti autour du thème : « Politisyen pale pou tèt li avan li pale pou moun : le discours politique un long monologue », cette conférence a donné lieu à une série d’interrogations sur la structuration du champ politique et sur le rôle du discours dans la construction des personnalités politiques haïtiennes telles que François Duvalier, Jean Bertrand Aristide, Henry Namphy, René Préval, Michel Joseph Martelly, pour arriver à Jovenel Moise.
Le journaliste Ralph Thomassaint Joseph, qui jouait le rôle de modérateur durant cette conférence, a invité les intervenants à réfléchir sur l’omniprésence des hommes politiques dans les émissions à grande écoute et sur les enjeux du dialogue proposé comme la planche de salut au chaos politique actuel : Quel dialogue ? Avec qui et pour qui ?
D’entrée de jeu, le journaliste Frantz Duval a fait comprendre que le discours n’est jamais sans effet et qu’il constitue ce par quoi le politicien existe et s’incarne. Il a passé en revue des bribes de phrases restées célèbres dans l’imaginaire collectif haïtien en montrant comment elles ont participé à la construction des acteurs politiques qui les ont portées.
De son coté, le sociologue Lukinson Jean a saisi la complexité du discours politique via le prisme du concept « politique du ventre » de Jean-Francois Bayard en avançant comme hypothèse que le discours politique n’a pour réel intérêt, dans le cas d’Haïti, que la reproduction de celui ou celle qui le porte. Il a dénoncé le coté mystificateur et faussement populaire des discours politiques en Haïti en évoquant le cas de Jean Bertrand Aristide qui, dans un créole qu’il voulait pur, a instrumentalisé les masses populaires à ses fins personnelles.
Après les interventions des panélistes, il s’en est suivi un échange avec l’assistance autour des points soulevés durant la conférence. Plusieurs questions ont tourné autour de la formulation du thème et de la nécessité de refonder la politique en Haïti. Si le discours politique est ce par quoi un politicien accède à la vie politique et met en scène sa personnalité, il n’en demeure pas moins qu’il est souvent truffé de mensonge et d’insincérité. La vérité, l’éthique, le sens du devoir semblent avoir déserté le champ politique en Haïti.
À ce propos, Frantz Duval a évoqué le cas du britannique Winston Churchill qui, dans un discours célèbre à la chambre des lords le 13 mai 1940, a fait le pari de dire la vérité aux anglais : «Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur ». Alors qu’il aurait pu faire dans le politiquement correct et la langue de bois, il a préféré regarder la réalité en face et s’armer de courage pour l’affronter. Un discours en somme tragique mais réaliste.
La quatrième édition du festival de dramaturgie contemporaine En lisant se réalise du 8 au 17 juillet autour du thème : Du bâillonnement de la parole à l’extinction de la parole bâillonnée. Les organisateurs veulent inviter le public à réfléchir la (im) possibilité du dialogue et la nécessité de démocratiser la parole en proposant un ensemble d’activités (des conférences, des performances, des ateliers et des représentations) autour du théâtre et de sa pratique en Haïti.