Par Adlyne Bonhomme
« Je suis parti de Seguin en 2018 pour m’installer à Port-au-Prince. À l’origine, ce n’était pas pour devenir marchand de boissons gazeuses. J’y étais emmené par un bon ami qui avait une camionnette et faisait du taxi au niveau du centre ville. Il m’a fait venir pour l’aider à rabattre des clients et dans la recette et pour m’aider aussi, raconte tout souriant, Jacques Remistil.
La camionnette, ayant connu une panne qui allait durer quelques mois, le jeune homme s’est résolu à chercher autre chose à quoi s’accrocher.
« Pas question de repartir à Seguin, d’ailleurs sans pouvoir encore retomber sur mes pattes ».
Jacques est arrivé ainsi dans le commerce de jus, reconnaissant avoir été influencé par d’autres jeunes gens qu’il a vus faire d’ailleurs dans les lieux où il embarquait la camionnette généralement.
« Pas un jour ne passe depuis sans que je ne promène cette boite», dit-il pensif et tapant des paumes sur la boite comme pour signifier quelque chose.
D’une bonhommie qui n’a d’égal que sa persistance à accrocher son boucle noir qu’il porte à l’oreille gauche, le jeune homme de 28 ans, le jeans plus bas que le placement convenu, répond avec générosité et une certaine compréhension de la situation du marché.
Faite de morceaux de cartons et enveloppée de sachets collants, la boite qu’il traine quotidiennement est en effet la seule activité grâce à laquelle il vit à Port-au-Prince et faire vivre sa petite famille à Seguin. « J’ai une fille de 1 an et 11 mois et sa mère à qui j’envoie un petit peu d’argent toutes les semaines», confie-t-il, un gros nœud sur la tête tressé d’un tissu épais pour se protéger du froid échappé du fond de la boite.
Si Jacques envoie de l’argent régulièrement à sa famille, c’est néanmoins tous les 3 mois qu’il la voit. « Il m’arrive parfois d’y aller de force », dans ce cas, lorsque survient une situation de mortalité, « mais en principe, j’y vais tous les trois mois. J’y vais et contribue comme je peux, ne serait-ce qu’en offrant du café, du sucre ou du pain », parce que la plupart du temps, le contexte ne lui permet pas de faire plus, ajoute t-il.
S’il arrive à quand même un peu faire bouger les fils, Jacques Remistil dit être très souvent au bord du découragement. « Par cette crise d’emploi dans le pays, je me retrouve encore à faire ça. Et parce que quasi tous les petits commerces connaissent les mêmes enjeux. Sinon, j’aurais abandonné et serais parti faire autre chose ».
Un découragement expliqué du fait d’un marché trop libre, où chacun fait ce que bon lui semble.
« Les bénéfices diminuent de plus en plus. Parfois, les prix des produits sont revus à la hausse dans les magasins, mais à cause de gens qui en avaient stocké en quantité, on se voit contraint d’accepter la réduction par rapport à ce qu’on percevait la veille, qui était d’ailleurs peu signifiant», se désole le jeune homme, qui souhaite un marché mieux contrôlé.
Ajouté à tout cela, le fait pour les fournisseurs de ne plus recevoir les pots de jus décongelés. « Il y a des mois, c’est nous qui nous organisons comme nous le pouvons pour pouvoir écouler les boissons décongelées, les magasins refusant de nous les changer, comme c’était le cas avant».
Comme beaucoup d’autres jeunes exerçant dans de tels démêlés, Jacques caresse le souhait d’avoir un jour un prêt à la banque, qui lui permettrait de construire sa propre petite « chambre froide » afin de pouvoir vraiment donner de la hauteur à ce qu’il fait.
Ce qu’il doit trouver inévident, quand on mesure sa voix en le disant et les gestes de désespoir qu’il fait des mains.