Par Jean Baptiste François
Cinquante deux ans d’audace symphonique, cela se fête. C’est l’occasion pour l’Orchestre Les Invincibles de Jacmel de laisser un témoignage durable, tout en complétant les célébrations de cet anniversaire. Souhaitons que l’organisation et les festoiements soient à l´image de l’évènemnent: une ultime occasion de donner un souffle nouveau à une formation musicale qui a fait danser des générations de mélomanes.
L’aventure des Invincibles commença un jour de mars 1969 dans les salons de Mr Félix Kesner Posy sous la haute requête de Émilio Dragon et feu Yrvelt Afriany et le 27 mars de la même année le groupe vit le jour selon Mr Posy qui dit encore détenir le premier document consacrant la naissance de l´Orchestre. Cette année de 1969 fut une époque de grand foisonnement musical pour Haïti. C´était l’époque de la rivalité Sicot-Nemours. L’orchestre Tabou Combo vit le jour un an avant, en 1968, c’était l´époque des Mini Jazz. Haïti respirait et vivait d´un nouveau son qui faisait polémique avec le son de la République voisine, le merengue plus rapide et plus enjoué. L’Orchestre les Jouvenceaux de Jacmel était déjà bien installé au bas de la ville sous la houlette de son maître à jouer Willy Innocent.
D’ailleurs d’après Kesner Posy, ce serait lui qui aurait demandé à Yrvelt Afriany de créer aussi un groupe au niveau du haut de la ville. Le premier nom des Invincibles fut les Invincibles de St Cyr, nom choisi par Émilio Dragon chanteur d’alors. Le groupe a adopté un drapeau aux couleurs vert et blanc, la couleur de la ville. Au fil du temps, le vert et blanc allait être changé en un rouge et blanc plus gai et plus vif.
La première musique du groupe fut intitulée “Sous les grenadias” mais selon Kesner Posy, ce morceau était composé un ou deux ans avant 1969, le solo fut apporté par les soins d´un musicien de Port-au-Prince, ami du groupe. Sous les Grenadias est l´endroit où s’est tenue la première réunion publique du groupe et c’était le lieu des répétitions et des hautes rencontres: une sorte de “demanbre”. Plusieurs personnalités dont feu Lucien Lys(Palouce), Edgard Cayo, Jacques Khawly entre autres ont apporté leur pierre à la construction de l´édifice.
Les premiers musiciens du groupe, certains décédés, portent les noms de: Maestro Émile Feraud(trompette), Michel Ladouceur (trompette), Yrvelt Ladouceur (guitare),Tony Laroche (bass), Edvard Tozin (tambour), Tony Lhérisson (batteur), Job Antoine et Émilio Dragon (chanteurs). Jean Claude Lamarque fut le premier président du groupe.
La première prestation des Invincibles se déroula au Djoumba Night Club, sur l’Avenue Barranquilla, dirigé à l´époque par Mme Mathador, sous les yeux curieux d’une population qui prenait connaissance avec un orchestre qui leur apporta un peu de joie et de vie dans leur quotidien mièvre. La ville n’avait aucun loisir à l’époque, il avait fallu convaincre avec maints arguments la propriétaire des lieux car sa réticence ne flanchait pas, pour citer Jean Claude Lamarque.
Après des années de travail, le groupe s’imposa et d´autres musiciens intégrèrent le groupe. En 1981 les Invincibles sortirent l’album Mèt kesyon et récidivèrent en 1983 avec l’album Patience avec des musiciens de grand talent comme Jacques Lambert , Philippe Aladin, Florian Pierre Louis, Jacob Lucien, Jacques Joseph, Jn Christo Adonis, Emile Feraud, Joseph Larose, Jacky S. Adonis, Darley Moise, Jacques Aladin, Louis Toudereau, Michel Ladouceur, Gérald Eugène, Jn Emilio Dragon, Pierre-Tony Lhérison…
Ils avaient pour Manager: Elain Jeannis et les albums étaient enregistrés et mixés auStudio Thoray sous la direction de Jean Raymond Desmangles.
Une énergie nouvelle
Avec les Jouvenceaux, le principal rival, la société jacmélienne changea et les gens sortaient beaucoup plus et chacun s’identifia à son groupe préféré. La ville rayonnait et comme le décrivait Dany Laferrière dans son roman Le Goût des jeunes filles: “Les années 60, ce sont, pour l’Occident chrétien, les années de la jeunesse, de cette jeunesse qui se donnait pour mission de tout chambarder, qui remettait tout en question: l’amour, la mort, l’argent, la maternité, la beauté, etc. Et c’est la musique qui était le principal moyen d’expression…” Les jeunes de Jacmel ont vécu et connu de grands moments de bonheur avec ces deux groupes: les kermesses des 1er et 2 janvier, des dimanches de Pâques, les soirées d’anniversaire des établissements scolaires entre autres soirées consacrées à la beauté des jeunes filles de la Cité.
Le début du 20ème siècle fut marqué par une cohorte de jeunes musiciens, passionés et la méringue “Sikile” sortie en 1996 est venue consacrer le génie de cette nouvelle génération. Ce fut une nouvelle ère et des musiciens tels que Franck Joseph (Fifon), Zoul, Jean Yves Bazile, Salvador, Vèvèl, Kiky Posy entre autres, sortirent du lot. Un nouveau son est venu identifier le groupe. D´autres influences soufflèrent sur le répertoire du groupe pour le bonheur des fans. Cette génération rejointe par Patrick Étienne et Joël Jean ravirent le coeur de plus d´un et conquirent la scène jacmélienne. En 1998, ils sortirent un opus Plezi Week end, un album attendu par tout un peuple. Le répertoire des Invincibles se bonifia et aujourd´hui encore des musiques de légende telles Mademoiselle, Zoklo, Peche et des méringues comme Tout moun melanje (2005), Foure kòw (2006), Men pik ou 2007, pour ne citer que celles-là sont des souvenirs immémoriels et ceux-là qui ont pu goûter à ces mélodies et les déguster soit lors des soirées ou dans les rues en gardent des images qu´ils gardent précieusement dans un coin de leur coeur.
52 ans plus tard, malgré les aléas de la vie, le groupe tient encore la barre, tel un paquebot décidé à défier les tourments et les bourrasques des hautes mers. Le staff qui mène la destinée du groupe actuellement veut donner une dimension sans égal à cet anniversaire. Les musiciens de leur côté se sont mis au travail et viennent juste de sortir deux morceaux: K-fou et Adikte chantés par Joël Jean. Ces morceaux font l´apologie de la beauté de la femme, parlent d’amour et de cette volonté de garder coûte que coûte cet être cher qui sans lui l´âme se perd dans l´obscurité.
Dans Adikte, le texte parle d´une connection quasi spirituelle voire mystique entre deux êtres marqués aux fers par les expériences qu’ils ont vécu.
« Ou vin tankou yon oksijèn
San ou la vi mwen pa gen jèn
Se pou mwen diw jan w espesyal
Lèw pa la se gwo doulè
Ki melange ak tout la penn
Cherie san ou vi m an devenn »
Dans K-fou qui est un remix d’une ancienne version écrite par Djo Bass, l’on parle de ces mystères qui entourent les carrefours de nos contrées dirigés par des “Mèt Lakou” qui ne pardonnent pas si on ne leur voue pas un respect dû à leur rang.
« Dyab la nan baryè a
Gran chimen n´angaje
Sosyete nan lari
No upa nan betiz ooo
Gran chimen kondi´n ale
Tou dwat nan simityè
Douvan Bawon Lakwa »
Rappelons qu’en 2018 “Gad sa lanmou fè’m”, nouvelle composition chantée par Joël Jean égayait les ondes et les réseaux sociaux.
Pour cette célébration, les fans souhaiteraient que l’ Orchestre retrouve cette force sonore unique qui le caractérisait. De jeunes musiciens doivent être intégrés dans le groupe, d’autres stratégies doivent être mises sur pied pour le bonheur des générations d’hier, d’aujourd hui et de demain.
Bonne fête Venvens!
Ad multos annos!