Propos recueillis par : Lord Edwin Byron
Aucun inventaire n’est encore établi de façon exhaustive sur le roman haïtien. Et ceci, en dépit de nombreux travaux (monographies, anthologies et études comparatives) menés et publiés à cet effet par Max Dominique, Léon François Hoffman, Pierre Raymond Dumas, Jacques Stephen Alexis, Jean Claude Fignolé, pour ne citer que ceux-là. Grégory Alexandre, diplômé de l’École Normale Supérieure (ENS), romancier, poète et professeur de lettres, nous livre son propos sur la production romanesque haïtienne du point de vue thématique, esthétique et moral.
SibelleHaiti : Un regard sur le roman haïtien?
Grégory Alexandre : Le roman haïtien? Qu’est-ce que c’est ? Doit-on en parler, au niveau des matériaux constitutifs ou d’une identité singulière. Ou doit-on se référer à une politique de la structure ? Le roman comme pratique sociale et d’écriture et/ou comme genre littéraire se porte bien dans l’Haïti de 2019. Nous sommes depuis les années 60 à notre plus belle promesse. Tellement, ça nous arrive de passer à côté de certains grands romans. En effet, Le désespoir des anges de Henry Kénol est l’un des plus beaux romans de notre génération, en matière d’écriture et de narration. La génération du post-séisme. Qu’on pourrait appeler : l’esthétique de la recomposition du chaos. Ainsi, l’écriture semble embraser une eschatologie du labyrinthe, pas dans la quête des recherches et d’expérimentations tels dans les romans traditionnels. Le lecteur haïtien, aujourd’hui, n’est pas seulement un co/créateur qui partage l’aventure de l’écriture auxquels les mouvements semblent indéfinissables et glisseraient aux limites de la conscience. Il devient aussi Spasmes même de la recomposition de la narration. L’ombre animale et Maître-Minuit de Makenzy Orcel en sont la preuve de cette recomposition du chaos et celle des mythes.
Le cri Lola de Bonel Auguste, au-delà d’un drame intérieur, l’écriture est prétexte de cet intérieur dédoublé, en marche des extérieurs complexés, jetés par dessus-bord. C’est une écriture chargée de promesses. La case vide d’Antoine Hubert-Louis s’inscrit dans la même veine de cette recomposition qui requiert un autre-en-soi. Je pourrais en citer une bonne dizaine de jeunes romanciers et de romans qui, sans même le vouloir de prime abord, traînent cette recomposition du chaos.
S.H. : Une liste des meilleures promesses du roman haïtien?
G.A: C’est toujours hautain et même prétentieux pour la critique de lister dans une perspective anthologique, sauf, dans l’art de raconter, aujourd’hui, il y a une tête qu’on doit surveiller, tellement, il dit le jour avant l’aube. C’est celle de Nehémy-Dahomey Pierre. Son roman sur le naufrage et la reconstruction du chaos à travers un lieu est, selon moi, la germination de cette esthétique de la recomposition du chaos. Cette esthétique que la romancière Evelyne Trouillot, à travers sa démarche historique, pourrait être considérée, comme la pionnière. (Malheureusement on ne parle pas assez de son travail, moi je crois que c’est une romancière sérieuse, avec des romans taillés, sculptés, au gré d’une mémoire socialisante)
S.H.: Comment clases-tu les différents moments du roman haïtien sur le plan de la perspective?
G.A: Le roman Haïtien, selon moi, a véritablement commencé avec les nationaux au début du vingtième siècle, d’ailleurs, c’est par là, que le roman haïtien a pris véritablement son ancrage. Parler de Stella comme le premier roman haïtien sur le plan historique, peut-être oui, mais sur le plan de la perspective c’est avec Mimola d’Antoine Innocent. Dommage que l’occupation américaine va casser cet élan spontané, pour qu’à partir de la génération des années 60, avec Amour, Colère et Folie de Marie Vieux Chauvet, on en revoit l’annonce-d’après, des meilleurs romanciers jusque-là, montant sur les échassiers de Jacques S. Alexis. Depuis, Frankétienne, en passant par Jean-Claude Charles et René Philoctète (Entre les saints des saints, quelle recomposition !) pour arriver à la proposition de Lyonel Trouillot dans Le livre de Marie qui selon moi, est le point culminant, le point de la maturation de cette esthétique de la recomposition du chaos.
S.H.: Peut-on aujourd’hui parler d’un romananesque proprement haïtien ou d’un romanesque à l’haïtienne?
G.A: Le roman haïtien, aujourd’hui, est un peu controversé, en dépassant les frontières de la langue et du sujet. L’avènement du roman en créole avec Dezafi. Le roman en anglais avec Edwige Danticat. Pas seulement au niveau de la langue, attention! le Blues de Mississipi de Josaphat R. Large est un roman typiquemement haïtien. C’est vraiment à partir de là que l’on comprendra qu’il ne suffit pas de dire Haïti, ou Port-au-Prince, ou n’importe quelle ville haïtienne, pour que le roman soit haïtien. Le regard d’un haïtien porté sur les mouvements du monde peut bien faire l’affaire. Je ne sais pas ce que serait un roman à l’haitienne. Comme quoi, il y aurait un roman à l’aglaise, à l’américaine, à la française. Moi, je crois que tout simplement, qu’il y aurait des romans attachés ou détachés des tripes et de l’espérance des auteurs. Chaque auteur dans le roman haïtien est un élément majeur, depuis ceux-là qui, comme des grands arbres qui cachent la forêt.
Mais, il y a encore à faire dans l’histoire du roman haïtien. Exemple: on a pas encore un roman sur la faim. Un grand roman sur la grande faim. Sur la boxe etc
Les sujets sont toujours très sérieux, parfois même trop sérieux qu’ils se confondent et se complètent avec l’histoire du pays.
S.H.: Qu’en est-il de l’engagement dans la production romanesque?
G.A: L’engagement, je crois qu’il en manque. Par exemple, nous n’avons pas encore de grands romans sur la Minustha, l’échec de L’ONU en Haïti. Aucun romancier jusque-là n’a encore écrit sur le drame des églises en Haïti, sur la douce et périlleuse occupation du modèle américain en Haïti.