Par Mérès Weche
J’ai lu, avec un intérêt sans cesse accru, le roman biographique de Badiona Bazin, « Est-ce cela le destin ɂ ». J’y ai découvert, dès le premier chapitre, jusqu’à la fin, que nous avons des points communs d’ordre existentiel qui ont facilité mon appréhension de la trame intimiste qui caractérise, presque sans répit, l’évolution de ce texte, dont le style coule de source.
D’entrée de jeu, ce magnétisme d’ordre esthétique et intellectuel, est dû à notre commune origine paysanne, quasi similaire, aux prises, constamment, à cet écart béant entre l’arrière-pays et les milieux urbains. Dans un tel cas d’espèce, le destin semble jouer un rôle prépondérant, compte tenu des criantes inégalités sociales, qui rétrécissent, inexorablement les chances de réussite en milieu paysan, si ce n’est par miracle ou tout court par prédestination.
La preuve en est bien grande, c’est que, dans une même famille, certains peuvent réussir brillamment, et d’autres échouer lamentablement, en dépit des mêmes restrictions à leur encontre.
Il est indéniable que ma dernière rencontre avec Badiona Bazin, sur le terrain de la culture à Montréal, pour une action concertée, dans le montage d’un documentaire sur la vie et l’œuvre d’Émile Roumer, ne soit pas l’effet du hasard. Il existe un magnétisme à la base d’un tel rapprochement, et il ne peut se comprendre qu’en fonction d’une approche causale.
S’agissant de son prénom Badiona, qui renvoie à l’imaginaire haïtien, par rapport au sens que prend l’expression « un seul badio », dans notre inconscient collectif, mon appellation, Mérès, en appelle, pour sa part, à un sens de « dernier né», alors que je suis le troisième enfant de ma famille, et que ce prénom vient de la Bible, dans le livre d’Esther, porté par un conseiller du roi Assuérus, l’un des sept princes de la Médie, qui voyaient sa face.
De plus, Badiona et moi portons tous deux, enfouies, au plus profond de notre âme, les empreintes du cyclone Hazel, dont les vents violents ont fracassé notre enfance, ainsi que la maladie en bas âge qu’on dit être la marque d’un destin particulier. Le Père Le Breton dont il parle dans son récit, quittait Jérémie pour se rendre à Belladère, et le président Dumarsais Estimé, qu’il porte dans son cœur, fut l’idole de mon père, qui affichait, en grand, son portrait au foyer, et dont la mémoire a marqué mon enfance.
Quand Badiona parle du « grand rêveur » que fut son ami Jean Roche, assassiné sous la dictature duvaliériste, je ne peux m’empêcher de faire la relation avec cet autre « habitant du rêve » qu’était mon grand ami, Jacques Roche, qui a connu le même sort, dans des conditions identiques.
Nous avons tous deux fait du théâtre, dans notre jeunesse, lui jouant le rôle de Curiace, et moi, celui du jeune Horace, dans la même pièce de Pierre Corneille.
Ce survol qu’il a fait des dix premières années de sa vie, suivi de son itinéraire au Canada, me rappellent ma propre trajectoire, allant d’Haïti au pays d’accueil, où lui, à Revenu Québec, et moi, à la Combined Insurance Co. of America, avons eu l’occasion de parcourir la Belle Province, d’un bout à l’autre. Nous avons vécu les mêmes expériences amoureuses en milieu de travail, connu les mêmes spasmes, face aux rigueurs de l’hiver, qui ont fait déparler Gilles Vigneault et Jean-Pierre Ferland, en des accents qui faisaient se lever le soleil dans leur cœur.
Au gré de la lecture de ce livre très prenant, « Est-ce cela le destin », de Badiona Bazin, je me suis retrouvé et remis à croire, comme lui, que « le destin n’existe qu’à condition de prendre les voies et moyens pour le contrôler du mieux qu’on peut, grâce au libre arbitre ».