Par Lord Edwin Byron
«Depuis le départ de Porto, César, lui, ne s’est pas du tout ennuyé et encore moins alimenté sur la longueur de la distance. Poussé par l’épuisement, il s’est d’abord endormi lorsqu’il s’est réveillé, c’était déjà l’avant jour. L’autobus fonçait sur le ruban d’asphalte entre deux étendues de plaines interminables. Il avait pris la direction du centre-est et allait précisément observer son arrêt à la gare de Saragosse» – Page 127
Le voyage, n’est-ce pas la façon par excellence d’habiter ses folies pour mieux tisser des liens entre sa curiosité et sa liberté? Deux amis, César et Lucrèce, deux personnages émouvants conçus avec tact, nous invitent à des découvertes insoupçonnées entre les lignes bien modelées d’un roman intitulé «Voyageurs hors normes». Ce roman, fruit d’une belle complicité entre Castel Germeil et Marie Marcelle Ferjuste, n’est pas le premier de ce genre à porter le goût des aventures à ce niveau. Cependant on a tellement de bonnes raisons de se délecter d’un travail aussi captivant. Celui de ces deux coauteurs, amateurs impénitents de voyage, dépeignant avec originalité, finesse et forte sensibilité la situation de deux amis contraints de dérouler des chaînons de vie bien au-delà des petites fantaisies.
«Quand on a faim, la nourriture jamais ne parait ni trop coûteuse pour son portefeuille ni trop désagréable à son palais. Quoique Lucrèce et César lui aient versé son dû, le chauffeur hésite à démarrer. Il reste dans son taxi comme s’il attend un nouveau client mais en somme, c’est leur mouvement qu’il suit. Il les voit frapper à la porte de l’hôtel. Pendant deux minutes qu’ils frappent et que personne n’est venu ouvrir il ne bouge pas.» -Page 112
Il y a quelque chose dans ce roman paru chez C3 Éditions en mai 2019 qui lui confère sa bonne part de vie. Ce que «Pierre Raymond Dumas», critique de belle eau, définit comme étant la puissance d’enregistrement du regard. Rien ne semble laissé de côté. Sinon à volonté. On a l’impression que les romanciers parviennent à capter la vitesse et la lenteur de tout ce qui bouge autour des personnages, pour ensuite le redimensionner et le fixer. Avouons-le.
Autre chose est encore à souligner: la dimension métrique de la syntaxe. Il n’est pas permis à tous d’user de longues phrases sans lasser leurs lecteurs. rices. Castel Germeil et Marie Marcelle Ferjuste ont réussi ce pari avec tout ce qu’il faut de rêverie et d’émotion. Ils ont de quoi faire penser à Proust. Sans pourtant écorcher leur originalité. Ou même rater le plus minuscule des détails dans leur suite narrative ou descriptive.
Ça part d’une correspondance entre un homme et une femme. Correspondance qui peinait à être nuisible vu le besoin de s’enquérir des nouvelles de proches parents vivant en Haïti. Lui, César, désarçonné par les dégâts du séisme dévastateur ayant emporté des milliers d’hommes et de femmes dont son frère cadet. Elle, Lucrèce, sensible à cette voix qui la poussait à garder des liens avec un correspondant dont les racines étaient encore prises dans le pétrin. Une première destination était envisagée. L’Europe, particulièrement l’Italie, la ville de Leonardo De Vinci…De là, les deux amis vont donner libre cours à leur passion de passer au peigne fin tant de villes auxquelles on connaît des charmes sans nom…Comme pour revivre les grands moments de l’histoire accrochée à chaque peuple du vieux continent. Nouvelle Orléans, Marseille, Venise, Bruxelles, pour ne citer que celles-là, avec toutes leurs prouesses enfouies dans des siècles de gloire… valident bien l’économie de cette grande soif de piocher tous les charmes européens et les savourer avec gourmandise.
« Le monde est un livre» pour Saint-Augustin. « et ceux qui ne voyagent pas n’en lisent qu’une page. » Quelle définition accrocher donc à un livre comme celui-ci qui invite au voyage? Ne serait-ce pas entre-autres une raison de plus de multiplier toutes les opportunités de se découvrir dans la folie des autres, cette folie qui est avant tout preuve de leur appartenance culturelle. À vous lecteurs. rices qui allez parcourir ces 240 pages, de vous lancer librement. Et laisser votre curiosité bien attisée et plus que jamais rivée vers l’imprévu de la prochaine escale, comme dirait l’écrivain français Roland Dorgélès, auteur de «Les Croix de Bois.»
Voyageurs Hors normes _ Castel Germeil et Marie Marcelle Ferjuste_ C3 Éditions_ mai 2019