Par Mérès Weche
Je me suis retrouvé, très jeune, à la croisée des chemins, entre l’écriture et la peinture ; cela veut dire entre l’art de s’exprimer par les lettres et celui de confier aux formes et couleurs la libre expression de ses sentiments les plus intimes.
Je suis né dans une terre glaise, celle qui a la vertu de façonner de la céramique, à l’image du récit biblique de la création de l’Homme par l’auteur de notre si bel univers. J’ai donc été fait avec de la terre rouge de Beaumont en Grand-Anse. Mes talons ont longtemps porté cette couleur et ont fait tout un tableau sur le blanc macadam de Jérémie. C’étaient surtout mes pieds mouillés dans La Voldrogue qui marquaient de leurs empreintes aux nuances du rouge la rue Mgr Beaugé où j’allais connaitre mon premier amour. Ce tableau peint sur fond d’un soleil naissant connut le sort d’un iconoclasme à nul autre pareil, comme la sainte icône de la Czestochowa, cette vierge noire de la Pologne, qui fut balafrée par les Cosaques – ancienne population de l’Oural en Russie -, et qui représente Erzulie Dantor dans le vodou. Une très heureuse récupération idéologique.
Le rouge comme couleur m’a donc longtemps marqué, non seulement comme celle de ma terre natale, Beaumont, mais aussi comme celle de l’arrivée ou du départ du soleil, à l’aube et au crépuscule. Je me souviens, comme si c’était hier, de ce jour de pluie où je substituais la terre rouge de Beaumont à la terre de Sienne qui me manquait pour parachever une peinture de Notre-Dame du Cap commandée par la brave dame d’alors, Modeste Jolicœur, pour un reposoir de la Fête-Dieu. Vingt-ans plus tard à Montréal, je n’avais pas un tel souci en peignant, pour le Père Gilbert Trocher, l’image de Notre-Dame d’Haïti, érigée canoniquement, en 1982, par Mgr Paul Grégoire. Il suffisait que je me pointe chez Omer DeSerres, et le tour était joué. Cette image, reconnue au Vatican comme une représentation de la mère du Christ, est aujourd’hui figurée en statue au devant de l’église de la communauté catholique haïtienne du Québec, rue St-Vital à Montréal-Nord.
En fouillant dans les cendres du passé, je me rappelle combien j’étais traumatisé par les horreurs “rouge-vif“ de cette macabre nuit de Numéro-Deux qui m’a inspiré mon roman Le Songe d’une nuit de carnage, affichant en première de couverture ce tableau de Goya, titré Tres de Mayo ou La charge des Mamelouks, peint en 1808.
Cette peinture dont la charge émotive traduit, avec un réalisme cru, la farouche dictature espagnole de l’époque, n’a pas l’effet de déconstruction d’une Guernica de Picasso, montrant les atrocités de la guerre civile de 1937 en Espagne, mais m’avait servi de figuration essentiellement expressive pour traduire ce massacre gratuit perpétré à Jérémie par la dictature duvaliériste en 1964. C’est ce que j’appelais, à la sortie de ce livre, un devoir de mémoire.
En 2020, il me plait de projeter à nouveau mon regard sur Jérémie et d’évoquer un autre genre de croisée des chemins, celle que j’ai vécue, en voyant descendre à pied de Bordes, le très original Émile Roumer. J’ai emprunté quatre voies de travers pour le rencontrer sur le chemin de l’esthétiqueː la peinture, l’écriture, la poésie et finalement le documentaire. J’ai encore brouillé les cendres du passé pour retrouver des séquences filmées d’il y a trente-ans pour faire revivre cet homme extraordinaire qui a marqué ma jeunesse. Mon film-documentaire, Émilius Niger, déjà projeté deux fois à Montréal et une fois à Ottawa, va l’être bientôt dans deux événements littéraires en Haïti, particulièrement à Marigot et à Beaumont, deux petites villes de province se retrouvant ensemble, en 2020, à la croisée des chemins du livre.
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