Par Mardochée Bijoux
La création artistique est toujours influencée et la démarche comparée permet l’appréhension d’une œuvre. C’est en ce sens que l’œuvre musicale « Black Bird » de l’artiste Danola Antoine, sortie le 8 mai 2020, nous rappelle deux morceaux musicaux au même titre, produits par deux artistes anglophones dont celui de Nina Simone et Noni.
Le Jazz a pris naissance à la fin du 19ème siècle au nouvelle-Orléans, de « l’expressionn de la misère et du désespoir des déracinés et humiliés », dit Jacques G. Préval. La première artiste inspirée de cette métaphore musicale « Black Bird », est la compositrice Nina Simone en 1966. Chanteuse et militante afro-américain, décédée en 2003.
Dans sa composition « Black bird » ou littéralement en français « Oiseau noir », elle peint un oiseau qui désire s’envoler pour jouir de sa pleine liberté mais les obstacles sillonnent sur sa route: « Why you wanna fly Blackbird you ain’t ever gonna fly/ No place bif enough for holding all the tears you’re gonna cry […] You ain’t got no one to hold you you ain’t got no one to care/ If you’d only understand dear no body wants you anywhere.» Il veut prendre son envol mais on le décourage.
L’oiseau noir est isolé du reste du monde, prisonnier de son espace vital, de sa société pour sa couleur et son ascendance: « cause your mama’s name was lonely and your daddy’s name was pain/ And they call you little sorrow ’cause you’ll never love again. »
L’image de « Black Bird » symbolise le noir américain voulant jouir de ses droits civils et politiques, dépasser les préjudices sociales et raciales pour se faire un nom dans cette société d’apartheid. En d’autres termes, le noir qui fait face aux préjugés relatifs aux valeurs américaines et européennes.
Ce même titre a été repris par la chanteuse britannique Gugu Mbatha-Raw de son nom d’artiste Noni dans le film Beyond Lights sorti en 2014. Ce film raconte l’histoire d’une jeune chanteuse, talentueuse. Après beaucoup de difficultés, elle arrive à se tailler une place dans le monde musical. Pour ainsi dire Noni fait un « re-make » avec le titre de Nina Simeone pour dire que le « Black bird » qui a toujours connu la peur dans sa cage a enfin pris sa liberté. Désormais, il vole avec ses propres ailes et surmonte ses craintes et les barrières sociales. Il s’intègre dans cette organisation sociale pour se créer une place.
Le monde de l’art est en contact permanent avec lui-même. Les artistes ou les musiciens suivent la marche successorale de leurs prédécesseurs. Avec son titre «Black Bird», Danola, non seulement témoigne le respect pour ces musiciens, mais elle rend compte aussi de la réalité de la jeunesse haïtienne. Cette dernière opte pour la migration forcée à défaut d’une politique d’intégration comme l’a si bien signalée l’artiste Belo dans « Istwa dwòl ». « Jodi a m rive dènyè branch ki te rete a kase/ nich pay la gaye, van pote l ale/ m la m ap chante, m la m ap kriye », Chante t-ellle.
Danola prend l’image « Oiseau noir » comme support métaphorique pour décrire un environnement dévasté qui fait référence à Haïti. « Jodi a m rive black bird pi wo ankò li vole/ pou lè souf li bout nan bat zèl pou l goumen ak dezespwa pou l plane/ petèt avèk lespwa, espwa lè l desann menm yon branch n a plante ». Par la poésie qui habille et habite cette chanson que l’on retrouve dans les notes du keyboradiste, comme soupape d’émerveillement et la voix complainte de l’artiste qui degage une votex d’emotion, Danola entend porter de l’espoir pour surmonter le drame social passagèrement. D’ailleurs, elle est consciente de son incapacité à agir sur le présent concrètement: « Si menm ka sèvi branch pou lavi ka nèt/ si menm ka sèvi pou plante lespwa nan kè black bird/ konsa la poze, lakay la rete.», se plaint- elle.
Ce qui est intéressant dans la chanson de Danola Antoine, «Black bird» n’est pas cet oiseau de Nina qui est prisonnier dans sa cage et celui de Noni qui peut voler mais pour sa réussite personnelle. Il est cet oiseau noir qui fuit sa cage vilipendée, désastreuse et qui s’envole sans destination avec des battements des ailes de désespoir sous la force du vent et de la pesanteur. Un oiseau migrateur. C’est la jeunesse haïtienne, l’haïtien, dit-elle, qui fuit son pays, sa patrie parce qu’elle devient un enfer pour lui.
Les musiciens s’inspirent de leurs prédécesseurs et les œuvres s’inspirent d’autres œuvres. Si les créateurs modifient les formes d’expression, les techniques, c’est pour mieux gagner la sympathie de leur époque. Danola Antoine vient de s’ajouter à la longue liste des artistes qui chantent la détresse haïtienne poétiquement.