Par Voltaire Jean
Faire parler la mer à travers l‘une des plus belles voix du cinéma haïtien (Gessica Généus) : une idée qui aurait pu donner lieu à un grand film. Si la bande originale signée Roosvelt Saillant dit BIC était beaucoup plus travaillée et beaucoup plus inspirée. Si le choix des intervenants (experts, professionnels et passionnés de la mer) était beaucoup plus ciblé. À ce niveau, l’absence de figures, comme celle d’une Rachelle Charlier Doucet, par exemple, l’un des rares anthropologues haïtiens à s’intéresser vraiment à « la vie multiple des mers », est à regretter.
Bien-sûr il y a le poète Marc Exavier pour qui la mer est une « seconde maman ». Mais il manque au casting le souffle de ceux qui aiment vraiment la mer comme un être de chair. Il manque aux différentes séquences la hardiesse du « dayiva » qui connait la mer jusqu’au fond de son cœur et qui a inspiré à Pierre-Richard Narcisse l’un de ses plus beaux poèmes mis en musique par Gérald Merceron et la voix de Lionel Benjamin. Il manque la passion de ceux qui, comme le poète Davertige, inventent des villes imaginaires en prenant la mer dans leurs bras.
L’intérêt pédagogique d’une telle production est sans nul doute indéniable. En interpellant le spectateur haïtien sur un sujet aussi crucial que l’environnement, particulièrement la dégradation accélérée des écosystèmes marins, Antonin, encore une fois, fait œuvre utile. De plus, les images, sous l’œil mature et rigoureux d’Oldy Auguste, sont excellentes. Même quand il y a lieu de reconnaitre qu’il n’y a pas véritablement un très grand effort de construction du récit.
Le film hésite entre fiction en images du réel (une fiction sur le réel empruntant au dramatique et à l’émotion) et documentaire classique à vocation essentiellement didactique et informative. Une ambigüité déjà relevée en 1993, chez le cinéaste, avec « Port-au-Prince : la troisième guerre mondiale a déjà eu lieu », à un moment où justement le docufiction, en tant que genre hybride, commençait à s’imposer à la télévision, en Europe et aux Etats-Unis d’Amérique.
Le processus narratif, ici, se déroule par bribes, mélangeant, selon une logique de pluridisciplinarité, droit environnemental, politique énergétique, urbanisme, sociologie et histoire des mœurs. Une démarche certes louable mais qui ne permet pas à la mer de dire ses frissons, de dire non plus ses colères face à l’ignorance et à l’indifférence des politiques, comme le laisserait pourtant supposer l’énoncé initial « Ainsi parla la mer ». Un titre magnifique mais qui s’est révélé au final beaucoup plus un exploit marketing (ce qui n’est pas du tout mauvais) qu’un projet esthétique. Dans le sens, où depuis Roland Barthes, (Analyse textuelle d’un conte d’Edgar Poe, 1985), un titre n’est jamais neutre.
Et c’est fort heureusement, au cours de la grande première du film, le mercredi 4 mars 2020, au karibe hôtel à Pétion ville, en présence d’un beau public, il y a eu, en qualité de maitre de cérémonie, Emmelie Prophète. Son verbe poétique. Sa culture. Sa générosité. Ses charmes et une sensibilité à fleur de gueule. Pour essayer de dire ce que le récit filmique n’a pas su pleinement exprimé. Pour évoquer ce que « Ainsi parla mer » aurait pu être (c’est nous qui le plaçons au conditionnel) : un conte merveilleux sur le Grand Bleu.
Sincères remerciements, Arnold Antonin !
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