Par Raynaldo Pierre-Louis
Jeune journaliste et écrivaine ivoirienne âgée de 29 ans, Emily Tapé est l’auteure de « Confessions sans curé », un recueil de nouvelles de 118 pages publié en 2018 aux Éditions Plume Habile.
En effet l’inceste, la drogue, le viol, le célibat, la maternité, l’adultère, l’homosexualité, la bisexualité, sont les thèmes qui brodent la trame de ce livre ô combien osé, qui sape les tabous d’une société archaïque, conservatrice, refusant toute véritable connaissance de soi et des autres ainsi que toute évolution essentielle de l’être.
Le message de l’œuvre est plurivoque, polysémique, tissé dans un style clair, saisissant, simple et accessible à tous, mais implique néanmoins une certaine ouverture d’esprit afin de pouvoir s’élever convenablement à sa juste portée significative. En ce sens, nul besoin d’ajouter que le plaisir du texte est au rendez-vous.
Composé de dix (10) nouvelles dont : Accident, Homicide presque volontaire, Enterrement de célibat, Tu ne commettras point d’adultère, Couloir de la mort, etc., les sujets abordés dans ce magnifique recueil nous exposent face à nous-mêmes, face à notre difficile confrontation au réel, face à l’aliénation généralisée, face à nos misérables laideurs latentes et nos refoulements collectifs, hérités certainement de la morale d’une civilisation judéo-chrétienne dominante et imposante qui fait la loi. Dans cet ordre d’idées, « Confessions sans curé » constitue, dans sa crudité narrative et dans son ventre subversif, cette sorte de miroir projeté au creuset de notre for intérieur.
Ce premier livre d’Emily Tapé se veut un plaidoyer pour la justice, un plaidoyer plus précisément pour les femmes victimes de viol ou d’abus sexuels. Ainsi, dans la nouvelle intitulée « Sacrifice », l’auteure, Emily Tapé, nous parle par le canal de l’un de ses personnages, à savoir Renée, jeune adolescente de 15 ans violée par son oncle Yves-Alain en absence de sa tante Irène partie à l’étranger. Ces quelques lignes peuvent en témoigner : « C’était deux mois après le départ de ma tante à l’étranger pour une formation que son cabinet d’avocat lui avait offerte. Et deux mois après la pire nuit de toute mon existence. » (p.41) (…) « Car dans notre société, il était très fréquent que la victime d’un viol soit considérée comme coupable. Pour eux, les violeurs, dans la plupart des cas étaient tout simplement tombés dans le jeu de séduction des “ pseudos victimes “. » (p. 44,45).
Après la lecture des dix (10) fameuses nouvelles du recueil, on peut effectivement en conclure que « Confessions sans curé » est aussi un appel à la tolérance, à l’acceptation des différences dans les rapports intersubjectifs, un réquisitoire contre les discriminations sexuelles creusant de part et d’autre des fossés entre les êtres humains. Écoutons donc la voix de l’un des personnages féminins de l’auteure, dans la nouvelle intitulée « Vœu perpétuel » : « Pendant que je fumais, ma copine s’est mise debout derrière moi en m’embrassant dans le cou. Je n’avais jamais été aussi proche d’une fille et je savais que notre religion et notre société ne permettaient pas de relation amoureuse entre deux personnes du même sexe. » (…) « Mais j’ai aimé sentir les baisers de Carla sur ma peau et ses caresses le long de mon corps. » (…) « J’étais à la fois troublée et excitée. » (p.20). À noter que cette scène de la nouvelle « Vœu perpétuel », s’est déroulée dans un couvent en Italie surnommé « Sœurs Charitables de la Sainte Croix ». Au beau milieu du couvent, Clara et Renée, deux jeunes « aspirantes » partagent une relation homosexuelle. Alors on pourrait se demander le bien-fondé de cette histoire, si ce n’est qu’une tentative, qu’une perspective de banalisation, de désacralisation de ces hauts lieux prétendument sacrés. Mais après tout, qu’est-ce qu’un couvent, si ce n’est qu’une morgue glaciale où l’on pénètre, où l’on se lance en vain dans une lutte acharnée pour l’extinction des désirs. Ici, dans cette nouvelle, Emily a frappé fort. Elle a taclé les pieds d’une civilisation qui refuse de composer avec le corps, évoluant pour ainsi dire dans la négation de l’Éros.
De part sa dimension libertaire, iconoclaste et insolente, Emily Tapé, à travers cette œuvre phénoménale, pousse un cri, un grand cri de douleur et de révolte contre les stéréotypes sociaux, contre les préjugés, contre les idées toutes faites avalées et répétées sans jugement aucun comme des perroquets. Elle nous invite, par conséquent, à la réflexion, à l’analyse de soi, à la modernisation des rapports sociaux. Tout compte fait, « Confessions sans curé » se révèle donc le diagnostic d’une société, une invite à une certaine redéfinition de la vie dans sa vitalité selon les choix des uns et des autres.
Jacmel, Vendredi 10 Avril 2020