Par Grégory Alexandre
La politique est l’art de fabriquer des perceptions et d’anticiper le réel. Elle n’est pas, selon les conceptions modernes, l’apanage seul de l’État. La société civile, les sociétés commerciales privées et les organismes des Droits Humains partagent aussi cette responsabilité.
Depuis trois semaines, le pays fait face à une pénurie d’essence, les citoyens s’empiffrent, s’engouffrent dans les stations services, en quête d’une goutte de ce liquide qui devient depuis les temps modernes une nécessité dans la vie des citoyens. Une situation que l’on n’a pas vécue, même au pire temps de l’embargo.
L’État est le premier responsable. Le secteur privé s’en suit. Parce qu’il est à l’intérieur même de l’État, le commande parfois ou l’aliène. La société civile n’est pas non plus exempte si l’on considère son manque d’efficacité.
Le secteur privé dorénavent gère la question de l’importation des produits pétroliers. D’où un partage des responsabilités quant à la crise du carburant. Et point. Pas question que l’un tire à boulets rouges sur l’autre. L’État et le secteur privé ont convenu à un deal pour que le second puisse reprendre le contrôle et/ou partager les responsabilités.
Ce matin du 16 septembre 2019, je regarde dans les yeux tendres de cette écolière sa soif d’apprendre, obligée de rebrousser chemin parce que son pays était incapable de lui fournir un fonctionnement adéquat. Ses questions étaient si persistantes : « de quel droit êtes-vous en train de vilipender mon avenir »?
Elle, qui, en rentrant chez elle, ne pourra pas parler par whatsapp à son petit copain en République Dominicaine, parce que lui, est en salle de classe. Parce que lui est dans un pays qui sait qu’aucune société ne deviendra grande sans la formation de ses citoyens. Parce que lui est dans un pays où chaque semaine les dirigeants inaugurent, inventent la vie.
Je regarde aussi les yeux embués de sa mère, venue, sous un coup de tête la chercher. Comme quoi, on sent encore, les plaies des injures, les coups de reins de la veille, d’un beau-père qui ne donne son argent qu’à la seule condition que sa soif sexuelle soit assouvie. On sent, dans les yeux de cette femme, le mépris de notre incapacité à lui offrir la seule satisfaction, celle de garantir à sa fille une éducation qui pourra lui éviter le mépris d’un homme.
Le professeur de maths n’a pas pu venir, lui aussi, a appelé pour nous dire qu’à cause de la pénurie d’essence, l’hôpital n’a pas pu sauver sa femme. Il ne croit pas pouvoir véritablement continuer à construire les asymétries dans la tête des élèves qui ne deviendront plus tard des monstres irresponsables. Des monstres à gauber des sommes faramineuses pour l’eau et du café, en l’espace de deux mois.
L’Etat est le premier responsable, le secteur privé s’en suit, que des stations de service continuent à pulluler à travers la République, pendant qu’on parle de déficits.
Les dirigeants, de part et d’autre, du privé comme du public, ne jurent que par l’augmentation des prix pétroliers, comme quoi, il n’y a qu’à travers le pétrole que l’on puisse trouver voies et moyens pour parvenir à un palliatif contre la crise économique qui ronge notre société.
Depuis 185 jours, sans gouvernements, sans un budget, avec un Parlement sans parlementaires, (tellement qu’il a fallu à un militant de s’immiscer dans les lieux pour s’improviser nouveau Président du Sénat).
Le pays a besoin d’un État et d’un secteur privé qui s’intéressent à la raison nationale. Qui puissent construire une raison d’être aux citoyens. Non pas à se mettre en guerre en tournant le dos à la population et à la jeunesse fragilisée que jamais. Ni à se refuser les responsabilités à l’image d’Adam et Ève dans le jardin d’Eden. Comme deux amants dans un désamour.
Et où chacun cherche à jeter la faute sur l’autre dans un faux-rire partagé entre l’État haïtien et son secteur privé des affaires.
bobomassouri@yahoo.fr