Par Voltaire Jean
Du 19 au 21 février 2020, la Fondation Culture Création et le mythique Centre d’Art de Port-au-Prince rendent hommage à une grande figure de la peinture populaire haïtienne : Gérard Fortuné, mort le 8 décembre 2019 à l’âge de 94 ans.
Né en 1924 à montagne Noire, dans les hauteurs de Pétion ville, et issu d’une famille plutôt modeste, Gérard Fortuné, celui que le cinéaste Arnold Antonin considère comme « le dernier des naïfs haïtiens », a commencé à travailler d’abord comme intendant puis comme cuisinier –pâtissier, chez quelques familles privilégiées de la capitale. Ce n’est qu’au début des années 1980 qu’il s’est lancé dans la peinture en autodidacte. Par la grâce de Dieu, dira- t-il, plus tard.
Le peintre Gérard Fortuné fait d’abord usage de matériaux qu’on qualifierait aujourd’hui de « récupération », de vieux sacs de riz aménagés sur châssis et des vans, de vieux paniers que les paysans utilisent pour nettoyer les céréales. Sur ces surfaces, il dessine des personnages et des motifs puisés généralement dans le syncrétisme catholico vodou, comme la crucifixion, un thème qu’il reprendra plusieurs fois au cours de sa carrière.
Quelques années après, lors de ses visites à la Galerie d’Issa El Saieh, Gérard (c’est sous ce label qu’il signe ses œuvres) découvrira les pièces des artistes comme André Pierre, André Normil ou Hector Hyppolite qui ne seront pas sans influences sur son travail. Il rencontre aussi des personnalités importantes du marché de l’art haïtien comme Michel Monnin, Nader, Judith Chambers. Des rencontres déterminantes dans la carrière de l’artiste mais qui n’auraient pas vraiment d’effet sur son art lui-même.
« Ce qui fait la grande particularité de Gérard c’est que pendant toute sa carrière il n’a jamais véritablement évolué sur le plan technique », souligne l’historien de l’art Michel Philippe Lerebours, dans le documentaire « Jambes de bois ou Gérard Fortuné, le dernier des naïfs » d’Arnold Antonin, sorti en 2015. Ceux qui connaissent Dr Michel Philippe Lerebours, sa profonde maitrise de la question, ses convictions, ses préjugés (quel historien de l’art n’en a pas ?) et, surtout, son élégance et sa prudence dans la critique, diront certainement que ce n’est pas un éloge. Mais qu’importe.
Le travail de Gérard, pour l’humour et la fraicheur qui le traversent, pour la poésie qui s’en dégage, comme en témoignent les trente-six pièces exposées au Centre d’Art, dans le cadre de ces trois jours d’hommage, est reconnu au niveau international. Il est inclus, entre autres, dans les collections permanentes du Waterloo Center for the Arts dans l’Iowa, du Huntington Museum of Art en Virginie ainsi que dans celle du musée d’art Patricia and Philip Frost de l’université internationale de Floride.
Rappelons que la manifestation s’est achevée avec, en première partie, une table ronde qui a réuni l’historien de l’art Sterlin Ulysse et le peintre Emilcar Similien dit Simil autour du thème « L’art naïf haïtien : l’apport de Gérard Fortuné », puis en deuxième partie, la projection du documentaire « Gérard Fortuné, le dernier des naïfs » d’Arnold Antonin.