Si aujourd’hui la violence devient monnaie courante, presqu’un style de vie des politiques, cette pratique de la violence était, depuis deux décennies, plus présente en Haïti en période de fêtes de fin d’année et de nouvel an. En effet, une augmentation de l’insécurité s’était généralement ressentie à cette époque, dans le pays, notamment dans la capitale haïtienne. A quoi cela est-il dû ? D’où vient cette apologie de la violence, de la peur ? SiBelle Haïti propose cette interview avec l’écrivain Antoine-Hubert Louis, sociologue haïtien et animateur social, autour de la question.
SiBelle Haïti : D’abord, quelle lecture faites-vous de l’insécurité en Haïti ? Tous les jours, des gens meurent par-ci, par-là ?
Antoine-Hubert Louis : Je préciserais d’abord que l’insécurité ne se limite pas à la quantité de morts recensées par jour dans une société. Si tel en était le cas, on aurait parlé d’insécurité aussi pour les Etats-Unis, le Mexique, la Jamaïque. Ce qui m’amène à avancer que l’insécurité est d’abord psychosociale, perceptive ! Cette perception de vulnérabilité collective découle de l’incapacité de l’Etat à anticiper et à prévenir, à intervenir ponctuellement et à sanctionner les contrevenants.
SB. H. : Il y a une sorte d’aisance dans les meurtres. C’est presque devenu facile aujourd’hui, en Haïti, qu’un homme tue un autre. Comment comprenez-vous une telle situation ?
A-H. L. : En plus de l’incapacité de l’Etat à anticiper et à mettre les malfrats hors d’état de nuire, ajoutons le facteur de la désolidarisation sociale. Les gens ont fini par développer le réflexe naturel et légitime de protéger leur petite personne au lieu de continuer à s’inspirer de la logique de l’entraide. Même dans nos villes de provinces, la culture du « coumbitisme » est une espèce en voie de disparition. Par voie de conséquence, de quoi et/ou de qui devrait-on avoir peur là où règne la confusion, là où l’Etat n’arrive pas à prouver qu’il détient, effectivement, le monopole légitime de la violence, là où les gens ne sont plus socialement solidaires ? Emile Durkheim dirait que nous sommes devenus une société anomique.
SB. H. : N’y a-t-il pas quelque part, ici, une apologie de la violence ?
A-H. L. : Je dirais oui en matière politique seulement, qui me semble être une véritable pédagogie de l’affrontement, donc, de la violence. Mais, au niveau social, je suis enclin à penser qu’il s’agit plutôt d’un sentiment d’impuissance et de désolidarisation sociale s’en allant croissante, d’où la non-assistance à une personne en danger.
SB. H. : Considérez-vous qu’Haïti ait hérité d’un tel phénomène ? Car, 20 ans de cela, les victimes de ce type d’insécurité n’accroissaient pas avec une telle fréquence.
A-H. L. : Soit dit au passage, la perversion des organisations de base, dites « OP » par Jean Bertrand Aristide vers la fin des années 90, début des années 2000, y est pour beaucoup dans l’éclatement de cette violence urbaine « en veux-tu en voilà » ! Je parle de perversion des OP parce que les organisations populaires étaient censées être des structures de leadership communautaire, préposées au développement des quartiers.
SB. H. : Ceci n’est malheureusement pas le cas. Mais, là encore, doit-on accepter cela comme un fait ? Que faut-il faire contre tout cet état de chose ?
A-H. L. : Point n’est besoin de dire qu’il faut que l’Etat puisse anticiper, prévenir puis sanctionner ! C’est une vérité de la palisse ! Il faudrait chercher, grâce à un service de renseignement digne de ce nom, à remonter les filières d’approvisionnement des malfaiteurs en armes et munitions. Il convient de se demander comment font les scélérats pour toujours avoir des munitions, alors qu’il existe un embargo sur les armes en ce qui concerne Haïti ! Presque partout à travers le pays, le grand banditisme est en train de combler le vide laissé par la faiblesse de l’Etat. Par ailleurs, nous devons réapprendre aux gens qu’être socialement non-solidaire c’est être davantage vulnérable, individuellement. Concluons pour dire que, dans un pays qui a faim, où tout est précaire, il est si facile de fidéliser les gens ! Pour preuve, les bandits vivent parmi la population qui, parfois, va jusqu’à les protéger en les alertant par téléphone du moindre mouvement de la PNH.
Propos recueillis par :
Jean Emmanuel Jacquet