Par Voltaire Jean
Un très petit nombre de cinéphiles et d’amants de la culture a eu le privilège d’assister, le jeudi 6 février 2020, à la projection de Kafe Negro, la toute dernière réalisation du cinéaste Mario L. Delatour.
Projeté au local de la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL), à Port-au-Prince, ce documentaire de 52 minutes fait, avec finesse et sensibilité, l’historique de la main-d’œuvre haïtienne à Cuba, à travers une mise en lumière de trois vagues de migrations :
D’abord celle qui a suivi la victoire des esclaves en 1803 à Saint-Domingue où, pour fuir la colère et les soubresauts de la révolution, des colons français vont se réfugier dans cette île de la Caraïbe en emportant avec eux non seulement leur savoir et leur savoir-faire en matière de la culture du café, mais aussi leurs « nègres ».
Puis la vague datant des années de fondation de la République de Cuba, après la victoire des forces indépendantistes d’abord sur l’Espagne (1898), ensuite sur les Etats-Unis (1902).
Delatour qui a la passion de l’histoire, particulièrement celle de l’Amérique latine (il est né d’ailleurs à Caracas, en 1955), nous invite à revoir cette deuxième moitié du 19e siècle où, après les indépendances, les nouveaux dirigeants latino-américains pensaient, à travers le modèle libéral, pouvoir parvenir à un développement accéléré du capitalisme dans ces pays, au moyen notamment de la conversion des anciennes plantations coloniales en entreprises rentables.
Avec intelligence et en mettant à profit toutes les ressources du cinéma documentaire, dans sa capacité à questionner le réel, le réalisateur de « Un certain bord de mer » montre comment la sueur et les bras haïtiens ont contribué à la mise en action de cette utopie libérale à Cuba, notamment à travers les cultures du café et de la canne. Le rythme est …, fragmenté, avec une multiplicité de plans (des panoramiques surtout) et de voix qui s’harmonisent. Aucun personnage n’est isolé de l’ensemble, comme pour nous rappeler que les migrations sont des aventures collectives vécues collectivement.
Enfin le troisième flux migratoire d’Haïtiens vers Cuba abordé est celui datant de l’après 1959, année du triomphe de la révolution castrice. Ici, et les différentes séquences des cinq dernières minutes du documentaire le montrent amplement à travers les chants et les danses relevant des rituels du vodou qu’elles nous donnent à voir et à entendre, le migrant, qu’il soit Haïtien ou Haïtiano-cubain qui n’a jamais connu sa terre d’origine, ne perçoit plus son parcours comme la marque d’un malheur ou d’une fatalité historique. La politique d’accueil du gouvernement révolutionnaire lui offrant de nouvelles opportunités d’adaptation et d’intégration.
Et c’est dommage que le film s’achève, comme dans une fiction, sur une note nostalgique, à travers une chanson évoquant l’amour de ces Haïtiano-cubains, pour Haïti. Car la nostalgie, comme le suggère Paul Ricœur, convoque souvent un « soupçon érigé en reproche ». Vue sous cet angle, la nostalgie exprimée au bout de ces cinquante-deux minutes d’émotions, rend tangible une expression résiduelle depuis Othello Bayard avec « Haïti Chérie », dénuée de substance politique, et non pas une parole de résistance.
Notons que la grande première de Kafe Negro a eu lieu le 17 janvier 2020, à l’hôtel Montana, à Pétion-ville.
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