Par Stéphane SAINTIL
Depuis plus d’une année, l’association KIREKK accompagne les jeunes à Carrefour Feuilles. Face à la recrudescence de la violence dans les quartiers populaires, le « Kolektif Inivesitè pou ranfòsman edikasyon kominotè ak kilti » propose des ateliers de musique traditionnelles, de graffitis, de théâtre et des débats sur d’autres questions d’intérêt général pour la communauté. Nous sommes allés à la rencontre du coordonnateur de cette association qui entend combattre le fléau de la violence par les armes de l’éducation et de la culture.
SiBelle Haïti: Renald Consseillant, vous êtes le coordonnateur du « Kolektif Inivesitè pou ranfòsman edikasyon kominotè ak kilti », une association œuvrant dans les quartiers populaires, notamment à carrefour feuilles. Pouvez-vous nous présenter cette association, sa vision du monde et la philosophie qui guide ses actions?
Renald Consseillant : KIREKK est une association formée majoritairement de jeunes étudiants des sciences humaines auxquels s’ajoutent des jeunes résidents de la deuxième circonscription. Elle n’est pas une association avec une structure pyramidale. Elle se présente de préférence comme une structure plate qui veut porter les jeunes à se voir sur un même pied d’égalité avec ceux qui planifient, organisent et interviennent auprès d’eux, avec leur collaboration effective et leur participation. Sa vision du monde se fonde sur un principe essentiel à notre pays qui, toutefois, est souvent bafoué par nos dirigeants ou par ceux qui jouissent des privilèges de notre société : « Solèy la dwe klere pou tout moun ». En ce sens, KIREKK, par sa vision et sa philosophie, veut porter chaque femme, chaque homme, chaque jeune à développer leur capacité intellectuelle, psychologique, critique afin de se réaliser en tant qu’individu et, du coup, affronter mieux les différents obstacles matériels qui se dressent devant eux.
S.H.: Quelles sont les activités déjà réalisées par KIREKK ? Êtes satisfaits des retours que vous aviez eus jusque-là?
R.C. : Les principales activités réalisées par KIREKK se sont déroulées durant les grandes vacances de l’année 2019. Elles ont été un espace où des dizaines de jeunes ont profité d’une série de formation sur la violence et le genre, dirigée par les professionnels des sciences humaines, à savoir sociologues et psychologues. Ces jeunes ont pu également jouir d’un ensemble d’ateliers sur les musiques traditionnelles et contemporaines, sur le théâtre, ainsi que sur les graffitis. Il est à préciser que ces séances de formations et ces ateliers ne se sont pas limités à des simples discours ou des simples représentations. L’effort a toujours été dirigé dans le sens d’aiguiser l’esprit critique des jeunes participants sur la violence telle qu’elle est vécue dans leur quotidien. Les ateliers également, ont été appréhendés et construits dans le but d’inciter ces jeunes à se les approprier comme des outils pouvant leur permettre à se réaliser pleinement, à construire un cadre-autre, forgé par les arts.
Les participants n’ont pas caché leur enthousiasme par rapport à ces activités. Avant, pendant et après, ils ont été plusieurs à témoigner de leur satisfaction non seulement par rapport à l’idée d’une telle initiative, mais aussi par rapport aux contenus qui selon eux répondent aux questions les plus pressantes auxquelles ils sont confrontés comme jeunes issus des quartiers populaires.
Oui, toute l’équipe est satisfaite. Cependant, cette satisfaction se limite aux résultats que nous avons escomptés. Il demeure, toutefois, que nous voulons élargir le cadre de nos interventions, travaillé avec un plus grand nombre de jeunes, avoir les moyens matériels pour mobiliser plus de ressources afin de mieux assoir la philosophie de l’association.
S.H. : Qu’est ce qui différencie KIREKK des autres structures travaillant dans les quartiers populaires?
R.C. : Il ne s’agit pas, pour KIREKK, de chercher à se différencier des autres structures travaillant dans les quartiers populaires. Il est plutôt question d’intervenir auprès des jeunes, de travailler avec eux, de construire, avec eux, un cadre où ils peuvent développer leur potentialité afin de déblayer les sentiers qui peuvent les conduire dans les ténèbres. Cependant, KIREKK, mobilise les ressources qu’elle croit être nécessaire pour cela. Les interventions ont un cadre théorique et politique. Il s’agit toujours d’analyser le milieu où s’effectue l’intervention, les besoins qui sont les plus primordiaux, les réponses qu’il faut proposer, les ressources matérielles et humaines qu’il faut mobiliser. Il ne s’agit pas d’intervention à caractère providentiel ou déshumanisant. Mais plutôt d’une démarche, prétendument scientifique, qui prévaut l’empowerment à l’assistanat.
S.H. : « Travailler avec des jeunes de quartiers populaires en vue d’agir sur l’état de violence effrénée qui se décuple dans les communautés » est la principale mission de KIREKK. Habituellement quand on évoque la violence dans les quartiers populaires, on voit surtout les rivalités entre groupes armés, tout en négligeant une autre dimension de la violence, à savoir celle de genre qui s’abat en grande majorité sur les femmes et les jeunes filles. Comment vous abordez, dans vos interventions, la question des violences basées sur le genre?
R. C. : Effectivement, il est objectivement une vérité que les violences dans les quartiers populaires sont avant tout la question de gangs armés et de rivalités pour le pouvoir. Cela va de soi. C’est une ménagerie dirigée par l’État à laquelle peuvent difficilement s’échapper ceux qui portent les armes. Les réponses proportionnelles à cet état de fait sont d’une énorme complexité. Toutefois, cet aspect primordial de la violence en ces milieux engendre d’autres formes de violences que, trop souvent, certains tendent à mépriser ou à considérer comme des choses naturelles.
Dans le contexte où le débat sur le genre prend de l’envergure, dans le contexte où les constats empiriques dans les quartiers populaires témoignent tous les jours de violence liée à cette question, il a été une obligation pour KIREKK de produire des réflexions sur la violence et le genre, en partant, avant tout, des réalités vécues par les jeunes. La question est donc abordée avec autant de considérations théoriques que de considérations intégrant les pratiques quotidiennes des jeunes. C’est une forme de praxis qui cherche à mettre à nu les causes matérielles de ces formes de violences.
Sibelle Haïti: Quelles sont les prochaines activités de KIREKK? Et quelles sont les conditions à remplir pour y participer?
Renald Consseillant : KIREKK est en train de finaliser un calendrier sur lequel s’étendent, pour une période de 6 mois, plusieurs activités majeures, dans plusieurs espaces géographiques. Les activités seront diversifiées en fonction de ces espaces et des thématiques que nous traiterons. Nous ne voulons pas révéler déjà les différentes activités que nous envisageons d’entreprendre. Nous pouvons simplement demander aux personnes qui sont intéressées par le travail que nous faisons de consulter notre page Facebook afin de rester connecter pour pouvoir être à jour lors de la publication des dates de nos activités. Nous pouvons simplement vous dire que le calendrier est chargé et que, pour cela, les éventuelles collaborations sont bienvenues, dans la mesure où elles n’entravent pas la philosophie de l’association.