Par Lord Edwin Byron
Autour de la poésie haïtienne dite contemporaine, le discours est plutôt étriqué. La tendance tend beaucoup plus, chez le poète, à la construction du propos individuel, question de se montrer apte à communiquer sur son art. Du côté des critiques, on ne fait que se répéter, question de se mettre au diapason du verbe émis par les caids et leur clan. Chez plus d’un lecteur, le parti-pris est manifeste. Ici, on tente de mettre un peu de lumière sur la poésie d’aujourd’hui. Entretien avec l’homme de lettres, enseignant et normalien supérieur, Grégory Alexandre.
Sibelle Haiti: Petite précision sur l’appellation de poésie contemporaine.
Grégory Alexandre : La dénomination « poésie contemporaine » pose problème tant sur le plan historique que sur le plan esthétique. On ne peut dire véritablement quand a-t-elle commencé? Quelles sont les singularités qui fondent la toile de fond de cette poésie, quand on sait que, sur le plan historique, toute poésie a été contemporaine à un certain moment de l’histoire. Par conséquent, on va faire en sorte de délimiter la question à ce qui se réalise aujourd’hui, dans ce domaine. La poésie comme espace de parole, médium du langage est ce domaine de l’art qui a toujours posé, tant par sa forme interne que dans son expression, le plus de problèmes aux académismes, aux formes canoniques. Elle se veut un espace de dénonciation, de révolte et de révélation de soi au monde.
La poésie d’aujourd’hui, subit à quelques endroits près, cette absence communicationnelle. C’est peut-être pourquoi Léo Ferré disait de cette poésie qu’elle ne chante plus, elle rampe. Le poète aujourd’hui est plus poésie que son art. Ce qui fait que l’art poétique, comme étant un art majeur, n’est pas exempt de ce qui se passe dans la jugulation commerciale/capitaliste que subissent toutes les autres formes artistiques. Le « Just do it » de la compagnie « Nike », semble bien être la forme par excellence qui domine la poésie.
S.H: Peux-tu dresser une liste des meilleures promesses de la poésie haïtienne?
G.A: En revanche, certains poètes haïtiens ou étrangers gardent encore le symbolisme des codes de la mémoire, dans la démarche esthétique, de par sa conception occidentale qu’est une perspective. On peut citer en exemple : Yvon Lemen, Lyonel Trouillot, Bonel Auguste, James Noël, Makenzy Orcel… qui font de la poésie ce langage du désenchantement du monde, non un lyrisme de la mièvrerie ou une parole plaintive. Elle devient courage, construction d’une parole consciente, des échassiers par lesquels le poète regarde l’horizon au-delà, la monotonie organique d’un monde violent.
Je crois que cette promesse en Haïti s’inscrit aussi avec l’avènement du créole qui donne une force de plus, une sincérité dans le dire éclaté.
S.H: Peut-on parler de formes et de normes dans la poésie « contemporaine »?
G.A: En dehors de l’esthétique du délabrement du poète, Lyonel Trouillot, du Surpluralisme de Nelson, il n’y a pas un groupe dûment inscrit qui proposerait une esthétique faisant école, cénacle comme on dit. Du coup, le poète est un homme esseulé, libre devant son art. Sauf, certains milieux qui s’érigent en fins connaisseurs, en Papauté de la poésie, vont être parfois, soit acceptés soit refusés, tel poète au détriment de tel autre, c’est selon l’admiration et la filiation du poète, non de sa poésie, au groupe. Des groupes qui s’érigent comme mesurette du niveau de poésie que peut contenir un texte ou non.
Sibelle Haïti: Qu’en est-il de l’engagement dans la poésie d’aujourd’hui?
Grégory Alexandre: L’engagement, comme se le veut Denis Benoit dans la « littérature et l’engagement », peut se situer à des niveaux transhistoriques; dans le langage avec Roland Barthes, et surtout dans son écho avec son temps, d’un Jean-Paul Sartre. L’engagement n’est pas forcément une parole qui gagne les rues comme pour dire Vive ou À bas. L’engagement, selon moi, peut se situer aussi bien dans la forme que dans le fond (sujet). Un homme qui dit à un autre (ton sperme qui gicle entre mes dents/et s’étire comme un soleil blessé) peut tout aussi bien être un acte de l’engagement.
Pour moi, l’engagement est la conscience du poète de son temps. Le regard posé sur soi et sur les autres. Bref, une poésie qui parle du réchauffement climatique, des arbres, des oiseaux, d’une fleur qui pousse dans un corps tombé sous les balles, de l’amour… peut être aussi une poésie de l’engagement.
Pour conclure, ce n’est pas toujours le sujet qui forme l’engagement mais la relation de sa perspective avec son temps.