Par Voltaire Jean
Né à Port-au-Prince, au cours de la décennie 1960, élevé par une mère passionnée d’art et de culture, Réginald Legros, peintre et collectionneur, a manifesté dès son plus jeune âge, un très grand amour pour la peinture. Ce qui n’est d’ailleurs pas un accident, quand on sait qu’il a grandi dans l’entourage d’un des plus grands de l’histoire de la peinture haïtienne, comme il aime souvent à le rappeler, en l’occurrence Bernard Séjourné, figure emblématique du maniérisme érotisé, qui a vécu et peint dans un atelier près de la résidence de ses parents, à Bois Verna.
Une passion familiale débordante et un environnement social fécondant de sève qui vont donc amener plus tard Réginald Legros à collectionner des œuvres de divers artistes locaux et étrangers, mais qui vont aussi contribuer à nourrir ses inquiétudes en tant que créateur, expliquant le regard à la fois généreux et pessimiste qu’il porte sur le monde et sur les choses. En témoigne cette série de peintures présentées sous le titre « L’état du monde », dans le cadre d’un projet d’exposition itinérante conçu pour la période 2020-2021.
Que peut la peinture face à l’horreur du monde ? Que dire face au terrorisme, face à l’intolérance et au déchainement des passions religieuses ? Que peindre face à l’injustice et la misère humaine ? Comment dessiner les dérives du néolibéralisme dans ce monde de plus en plus globalisé ?
Ce sont, en effet, ces questions qui semblent préoccuper le peintre au moment où, après plus d’une dizaine d’années de production marquée par un attachement à l’art figuratif, il entreprend la réalisation de cette série de toiles abstraites (plus d’une vingtaine). Des représentations souvent d’inspiration monochromatique pour traduire, dit-il, « le désarroi de l’homme » dans un monde confronté de plus en plus à une perte de sens, dans un monde où tout n’est que du « vide ».
S’il est vrai que, selon Catherine Gaudin Deryng, « chaque peintre a sa tentative monochrome », celle de Réginald Legros de « l’état du monde » est faite du vert, parfois du bleu et souvent du rouge et/ou du jaune comme pour créer une harmonie charnelle des trois couleurs primaires. Et dans ce mélange du sublime et du pathétique, chaque œuvre, en tant que réel inédit toujours à réinventer (et qui ne saurait se passer des détails dénotateurs), dit effectivement la solitude de l’homme, l’homme postmoderne se redécouvrant prisonnier de ses propres excès, dans ses rapports au monde, à l’écologie (à l’ère du réchauffement climatique) et aux autres. L’homme seul voué à l’Éros et à la Mort.
Soulignons que l’exposition « L’état du monde » sera présentée d’abord à Jacmel, à Pétion-ville (Haïti), puis aux Etats-Unis d’Amérique et à Dubaï.