Par Orso Antonio Dorélus*
L’imagination est une puissance créatrice. Sa force dialogique permet à l’homme de surmonter son hiatus en créant des mondes qui lui soient favorables. C’est-ce qu’opère Roosevelt Saillant dit BIC. Son excédent pulsionnel lui pousse par l’acte de la prosopopée poétique pour faire de l’art, le domaine de gratification commune tout en puisant ses matériaux dans la réalité pour une esthétique réelle avec sa musique « A suiv ». Fraichement sortie. Cette composition entend caricaturer le réel ou l’institution politique et sociale.
Cette composition rentre dans un dialogue avec la nature pour parler de la politique et chercher l’accord d’autrui pour une jouissance de vérité commune. Autrement dit pour trouver cette jouissance nécessairement commune, l’œuvre doit parler ce langage dénonciateur de la politique pour que les individus qui s’y adhèrent puissent s’y reconnaitre; de trouver l’accord commun des individus sur la situation politique comme il a été question dans les rites de figuration par la prosopopée mimétique de figurer l’animal à chasser où chaque personne se reconnait dans ce dernier comme gratification anticipée du seul fait qu’il voulait manger à sa faim ou encore de répondre à une exigence consommatoire ou nutritionnelle et de favoriser la survie du groupe.
C’est ainsi que la « population » s’identifie à cette composition puisque celle-ci la permet d’expérimenter son intention commune en faisant abstraction de sa capacité de parole pour laisser cette tâche à l’artiste comme il a été question pour l’homme primitif de se faire auditeurs des dieux, les prêtres et les chamanes en couplant la structure phono-auditive. Et l’artiste de son côté se passe de son jugement d’auto-objectivité pour chercher la validité de son énonciation chez la population. C’est l’ironie comme figure esthétique. En bon observateur, l’artiste voit sur quoi se porte l’attention, le point focal de la population, compose une musique avec ces matériaux pour régler la peur, la souffrance de cette dernière. C’est en ce sens qu’un artiste est un écho sonore, un exutoire!
Le geste musical du compositeur sert tout simplement à faire jouir les contemplateurs, à mimer ou sublimer la crise en les faisant l’oublier passagèrement. En plus, la magie de l’art tend à faire croire que l’artiste est capable de gestes magiques, en établissant un horizon de communauté affective avec les membres de la société de telle façon qu’ils puissent le considérer comme celui dont sa musique peut remplacer l’action quand il s’agit de surmonter la mort, la maladie, les cataclysmes, la parole humaine et produire l’effet jubilatoire. C’est la raison pour laquelle dans ce pays le chamanisme artistique est une source de pouvoir politique puisque celui qui s’y adonne à une œuvre qui traite ou mime les questions politiques pense que l’artiste peut apporter une solution à la crise sociale et le vote aveuglement aux élections. C’est l’illusion artistique qui favorise cette dimension ersatz. Bref, la corruption que BIC entend dénoncer, l’Etat de droit qu’il prône, la politique culturelle qu’il réclame ou prétend apporter la solution musicalement, etc. persiste encore dans cette société. De ce fait, il fait son nom à sa façon…
M. Saillant projette des sons dans ce qu’il voit pour faire parler les choses, pour faire jouir le monde et les choses puisque devant les guerres, les crises, les catastrophes naturelles, la conscience d’impuissance donne naissance aux chamanes qui miment la crise pour sortir. Par contre, l’enjeu pragmatique de cette composition révèle que la beauté de l’œuvre n’est pas gratuite et rend compte de la déchéance du dialogue social dans cette société haïtienne.
*Spécialiste en Esthétique contemporaine des arts et de la culture