Par Rodney Saintil
Jacmel, l’inégalité sociale dans les années 40
« Requiem pour une soutane princière » un texte écrit par Maurice Cadet, Poète, romancier jacmélien, dans lequel il raconte l’histoire d’un prête dénommé Bénac qui en toute complicité avec les forces de l’ordre a anéanti la famille Gabiche pour une parcelle de terrain. Loin d’être un roman de fiction, l’oeuvre décrit l’inégalité qui s’évit à Jacmel dans les années 40.
En effet, le curé Bénac menait une vie de riche. Il promenait souvent au balcon, entouré de sa bibliothèque, une façon propre à lui de se retirer de la foule pour retenir à moitié son comportement élitiste. Son litige avec la famille Gabiche n’est autre qu’une affaire de terrain. Ce dernier était sous le contrôle de cette dite famille suite à un procès verbal laissé par le père Maël.
Ce procès-verbal non seulement atteste la possession de la famille Gabiche pendant vingt-cinq ans mais aussi, il était souscrit par le Conseil de Fabrique. Cependant, le Curé Bénac, égoïste, de part sa complicité avec les Forces de l’ordre cherche l’opportunité de tout brûler afin de mettre fin à ce contrat.
Après maintes tentatives d’expropriation – que ce soit la proposition d’exiler les époux à l’Hôtel communal, un établissement spécialisé pour les handicapés mentaux, ou du moins sur un autre terrain à Lamandou – la famille est sujette à toute forme de manipulation. Alors, ne voulant rien accepter du Prêtre, la famille Gabiche, pauvre, sans défense, était l’ustensile de plusieurs accusations. D’abord empiété, leur fils ainé, Désira, était séquestré à la prison civile de Jacmel pendant plus d’une centaine de jours pour des raisons inconnues.
Une action injuste. Comme si c’était tout à fait normal de jeter un innocent en prison parce que sa gueule ne plaise pas aux maitres du pouvoir. Victime d’un ordre social inégal fait sur mesure par les nantis. Il n’avait pas le droit à la parole, sauf à la brutalité la plus inhumaine. Après plus de cinq jours en prison, les chefs d’accusations sortent avec l’arrogance la plus totale de la bouche du lieutenant. Désira est coupable !
Il est coupable, pour résistance à l’autorité, et coupable également d’être malheureux, pauvre et sans avenir. Maltraité, humilié, abattu. On l’a arrêté comme un vulgaire malfaiteur. On le diminue en pleine rue avec une terrible raclée juste pace qu’il est pauvre. La famille Gabiche ne pouvant plus supporter une telle injustice se déstabilise. Sa mère et son père Gabiche accusés tous deux de folie, sont amenés à l’Asile communale. Tout se termine dans l’injustice la plus totale, le noir, l’inégalité la plus criante.
Ce roman, écrit par Maurice Cadet, est loin d’être un texte fantaisiste qui relate l’histoire d’un Jacmel dans les années 40 sur la belle lune, où l’hospitalité était le mot de passe de tout un chacun. Maurice Cadet nous fait voir le dessus de cette ville avec une classification très écartée. Autrement dit une société formée à partir de deux grandes classes sociales. Au bas de la ville, nous dit l’auteur, c’est l’univers des taudis et de veilles masures éclairés à lampes kérosène ou à la chandelle. Sans eau ni courant. Le va-et-vient continuel de vendeuses, de marchandes de charbon et de porteuses d’eau. Une vie de débrouillardise.
Tandis qu’en haut, au Bel’air, la classe moyenne vivait dans des maisonnettes aux couleurs chatoyantes. Maisons basses, une petite galerie et un perron pour enjamber les lumineuses rigoles.Ce n’était pas la misère noire comme la masse, mais les besoins de la classe moyenne restaient non comblés.
De leur coté, les riches menaient une vie facile dans la maison de pain d’épice à la façade finement travaillée, dans leur demeure cossue. Ils mangeaient à leur goût, dansaient avec les ventilateurs allumés et n’ont pas besoin d’occasion pour faire la fête. La grande bourgeoisie dans les années 40, nous dit l’auteur, vit en vase clos. Elle n’entretient d’étroite relation qu’avec les prêtres religieux et les commerçants canadiens.
Cette description sombre nous étale la misère de toutes les couleurs d’une classe sociale ; celle des pauvres, et l’illusion dont vivait la classe moyenne. Cette façon propre au marxiste dite matérialiste historique cherchent à analyser les changements qui s’opèrent dans les sociétés en accordant une importance aux conditions réelles des êtres humains, aux rapports entres les classes sociales ainsi qu’à leurs influences sur les évolutions historiques.
Alors, cette méthode nous permet de comprendre que la ville de Jacmel dans les années 40 est l’expression d’une inégalité faites à deux niveaux. Aux pieds et en haut de la colline, ou plutôt le bas de la ville, et le Bel’air. D’un coté des ruelles en escalier, des quartiers de misère, des clôtures en tôles ondulés masquaient les terrains inoccupés.Tandis qu’au Bel’air pour la plupart, des constructions avec des boiseries de style colonial aux plafonds ornés de frises en zinc ouvragé ou de dentelles de bois chantournés. L’aménagement même du territoire n’a qu’une issue, celle d’enraciner la pauvreté tout en excluant la masse aux besoins de base.
En ce qui a attrait au carnaval, l’auteur nous fait voir que ce n’est pas seulement une manifestation culturelle, mais un lieu qui pourrait bien se transformer au délire, la folie de toute une jeunesse assoiffée d’un plaisir sans mesure. C’est ainsi qu’après le Carnaval, une toute première vague de bébés de père inconnu surgit dans neuf mois. Des bébés carnaval.
Aujourd’hui en analysant le dessous de la ville, peut-on dire que Jacmel a changé ? La misère, l’injustice sociale, ont-elles d’autre nom que celui des pauvres ? Ce Jacmel sous l’emprise d’une classe sociale, existe-t-il toujours ? Et s’il existe, quand pourrait-on espérer vivre en toute égalité et liberté ?