Par Jean Emmanuel Jacquet
Pour Pierre Réginald Riché, houngan asogwe, vénérable, fondateur de Gran Lakou Vodou Dayiti, et fondateur de Gran Òd Endijèn Dayiti, le vodou est l’âme d’Haïti. Tout en soulignant les nombreuses crises existant au sein des associations de vodouisants, notamment les problèmes liés à la désignation de l’Ati national, Pierre Réginald Riché croit qu’Haïti et le vodou sont liés comme les dents d’une même bouche.
SiBelle Haïti : Vous êtes houngan asogwe et chercheur intéressé aux questions spirituelles notamment liées au vodou. Pouvons-nous évoquer la situation spirituelle d’Haïti aujourd’hui ?
Pierre Réginald Riché : Haïti est un pays lié au vaudou. L’égrégore de ce pays se construit sur le vodou, pilier central de l’Haïtien vrai et authentique. Être né en Haïti fait de chaque Haïtien un vodouisant même quand il ne pratique pas cette religion ancestrale qui est aussi un mode de vie.
S.H. : Par rapport à tout cela, quel pourrait être l’apport du vodou dans cette situation socio-politique et économique dans laquelle nous vivons aujourd’hui ?
P.R.R. : Le fait de tourner le dos à ce qui nous attache à notre racine en étant fils et filles de l’Afrique lointaine, nous conduit vers ce mal haïtien. Un mal qui nous cloue au bovarysme intellectuel. Pour redresser cette situation dégradante dans laquelle est plongé le pays, nous avons pour obligation de retourner à la source. Retourner à la source, c’est retourner à ce qui définit notre identité culturelle. Il est obligatoire de nous souder à notre racine, condition cruciale pour sortir Haïti de l’abîme. Le vodou est une religion construite sur la réalité culturelle de l’homme haïtien. Il serait le vecteur important en matière d’apport à cette Haïti clouée à l’acculturation.
S.H. : Le secteur du vodou en est également conscient. Et s’en plaint par contre de sa mise à l’écart. Tout cela est dû, selon certains spécialistes, au fait que l’Etat ne soit pas laïque, au-delà de ce qu’on en dit. Pensez-vous que cette mise à l’écart vient uniquement de là ?
P.R.R. : Je crois que non. Cette mise à l’écart serait au contraire le fruit d’une certaine irresponsabilité de la part de ceux qui se disent leaders du secteur. Il revient aux ténors du vodou de faire œuvre qui vaille afin de vendre une image positive de leur religion. La mercantilisation de ce secteur crée aussi ce handicap.
S.H. : Vous aussi croyez en effet que le secteur est divisé ou qu’il n’est pas suffisamment organisé? Il y a pourtant un Ati national aujourd’hui qui selon la fédération devrait régir sur le vodou.
P.R.R. : Le secteur n’est pas organisé. C’est un fait. Il y a des personnes qui se disent membres de telles ou telles fédérations. Mais, à bien remarquer, l’on constate que tout se fait de manière clanique. Comme responsable de Gran Lakou Vodou Dayiti, je m’apprête à dire que les personnes nommées Ati du vodou ayisyen ne font qu’obéir aux exigences de leur fédération. On devrait néanmoins trouver un consensus afin de pouvoir reconnaître un seul chef suprême du vodou. A signaler aussi qu’on doit le faire sur le plan spirituel, et non prioriser l’aspect mercantile rendant le vodou profitable à une petite équipe d’amis se mettant en conclave. Pour moi, il n’y a pas encore un vrai Chef suprême du vodou.
S.H. : Vous êtes plutôt pessimiste à ce point de vue. Cette désorganisation est un peu à l’image du pays. Y a-t-il un moment unique où tous les vodouisants, sans distinction, se rencontrent au cours de l’année? N’y a-t-il pas moyens de repenser tout cela ?
P.R.R. : Les divisions sont nombreuses. Pour moi, il revient aux loas de se réunir en conclave pour jeter le dévolu sur un Chef capable de bien prendre la gestion du vodou, richesse spirituelle et culturelle d’Haïti. Mais, vu la division qui bat son plein dans ce secteur, il est difficile à ce que tous les vodouisants puissent se rencontrer en un seul lieu commun. Boukman fut le seul chef à avoir été accepté par tous. Pour moi, celui-ci fut le seul du vodou à n’avoir pas été contesté. Les autres chefs l’ont toujours été et le demeurent encore aujourd’hui. Même le feu Max Beauvoir a été contesté par certaines associations de vodouisants.
SiBelle Haïti : Pour revenir sur la situation spirituelle du pays. Peut-on encore dire qu’Haïti ne peut plus compter sur son vodou ?
Pierre Réginald Riché : Mais non ! Le vodou, cette force vitale est l’âme d’Haïti. Sans cela, le pays ne représente rien. Pour la relève d’Haïti, le vodou doit jouer un rôle important. Haïti et le vodou sont liés comme les dents d’une même bouche. La force de ce pays est le vodou.