Par Adlyne Bonhomme
« J’ai fait mes premières armes avec mon père, qui exerçait à l’époque en milieu rural. On commençait vraiment dans les réaménagements des greniers des habitants. On fixait des portes, par exemple, qu’un cyclone a arrachées et passait ensuite dans des constructions en bois, quand les habitants s’étaient aperçus de nos capacités. Ça a commencé de cette façon-là, mais mon père était déjà un maçon et un charpentier accompli, qui revenait de Guyane avec le métier et qui avait besoin de se faire connaitre », se remémore le Forman, Fritz Saint-Louis, avec beaucoup de détails.
Comme beaucoup d’enfants victimes du fait du système éducatif inadapté et lacunaire auquel nous sommes soumis depuis la nuit des temps, Fritz Saint Louis avait besoin d’un régime scolaire spécialisé, vu ses troubles d’apprentissage. Régime qui ne lui a guère été accessible. Même dans les grandes villes d’Haïti en effet, il est rare aujourd’hui encore, de trouver des écoles disposant de telles prises en charge. Or, il y a plus de 25 ans que cette situation avait besoin de réponses.
Fritz n’avait pas fini les classes préparatoires en effet, quand il a dû quitter l’école, en raison de sa situation difficile d’adaptation. Le jeune enfant qui s’intéressait très vite aux activités de son père, lui proposait de l’accompagner dans ses chantiers. Daniel, le père qui ne s’était pas fait prier, lui avait mis très vite les mains à l’étrier. Fritz a appris ainsi le métier au fil des jours et des chantiers et a progressé comme on ne pourrait l’imaginer. Le gosse qui ne pouvait pas être réceptif aux activités scolaires, avait montré néanmoins très vite une grande capacité à apprendre les ficelles des métiers de son père.
Il n’a pas travaillé très longtemps à l’ombre de ce père très pointu, dans les métiers de maçon et de charpentier, s’est-il vanté tout au long de l’entretien. Non que ce dernier ne le voulait pas, mais parce que son père devenu très connu dans certains milieux et décrochant à l’époque plusieurs contrats à la fois, s’était vu obliger de lui donner des responsabilités de chantiers, qu’il dit d’ailleurs avoir très bien menés. Depuis 25 ans Fritz a quitté son père et bosse seul. Par la qualité de ses services, il a été amené à mettre ses empreintes sur des maisons un peu partout dans le pays.
Cet homme de 44 ans et père de 3 enfants dont l’ainé passera le bac cette année, confie n’avoir rien regretté. « J’aurais eu des regrets, vraiment si je n’avais pas appris ces métiers. Je n’ai pas encore la vie que je souhaite avoir, mais je n’ai pas non plus à me plaindre. », se félicitant de ce que ses enfants sont à l’école et de ce qu’il arrive à faire tourner plus ou moins comme il faut les roues de son foyer.
Interrogé sur ce qu’il pourrait considérer comme enjeu dans ces métiers qu’il exerce, il a répondu : « n’était-ce la condition du pays, avec le coup des produits augmentant continuellement, je pourrais mener une vie avec vraiment moins de soucis », confiant que parfois il négocie un prix pour un travail sur lequel le changement rapide et non contrôlé du marché fait revenir. Ce qui parfois, si l’on rencontre des clients peu enclins à comprendre, met tout en danger.