Par Adlyne Bonhomme
« Il y a plus d’une dizaine d’années qu’on avait fermé le programme de cantine de l’école des sœurs de Pèlerin. Depuis, c’est sur la lessive et le nettoyage que je me rabats pour pouvoir vivre et faire vivre ma famille », a confessé Marie, claquant les doigts et laissant lire sur son visage une certaine expression non assumée d’une nostalgie de ce temps vécu comme employée à la cuisine de l’école.
Célibataire et mère de 8 enfants dont les six plus âgés, nous a-t-elle dit, volent déjà de leurs propres battements, Marie nettoie, frotte, tord, rince et met des linges à sécher sur tant de fils dans Port-au-Prince.
Cette femme très grande de taille, fluette et au regard acéré est sollicitée partout et presque tous les jours pour ses services plutôt très appréciés. Si les deux contenus constituant son activité marchent fort bien, la lessive, elle, fleurit en toute saison, si l’on croit les propos de cette femme qui n’avait pas voulu dire son âge ni donner une approximation de ce qu’elle gagnerait par mois. « Les gens salissent des vêtements continument. Et, à ce titre, il y en a toujours à faire. C’est le courage qui peut parfois venir à manquer ».
Marie a toujours des demandes en attente, qu’il soit pour des services sur le coup ou d’autres plus réguliers. D’ailleurs, au moment de cet entretien, (c’était dimanche alors qu’elle était en route pour une lessive) il n’y a eu déjà, a-t-elle dit, aucun creux dans son agenda pour la semaine qui allait suivre. Une information qu’elle a sortie non sans une pointe de gaité légère.
« Certains jours avaient même déjà été pris pour la semaine d’après », a ajouté celle qui ne ménage jamais ses mains et dit décliner toutes les propositions qui lui sont faites de travailler comme employée à temps plein dans une maison.
Ce sont ces mêmes mains ridées et rosies à force peut-être du contact de tissus le jour qui moulent du maïs le soir venu afin de faire avancer le petit commerce d’akasan vendu en gallons (l’akasan est une boisson haïtienne populaire à base de lait, de farine de maïs, d’étoiles d’anis, de vanille et de cannelle souvent consommée en petit déjeuner) que Marie tient il y a des années à Nerette, ce quartier peuplé de Pétion-ville où elle habite, a-t-elle dit, dans sa propre petite maison.
Ces métiers de nettoyeuse et de blanchisseuse dont cette femme douée pour raconter dit n’avoir pas à se plaindre des revenus constituent en effet le levier qui fait tourner les turbines pendant longtemps d’un foyer riche de plus d’une dizaine de personnes.
Moins peuplé aujourd’hui, avec les enfants les plus âgés qui construisent déjà leur vie, même si elle donne quelques fois des coups de main à d’autres membres de sa grande famille, Marie dit ne s’occuper que de ses deux derniers gosses. Si elle ne peut pas se targuer de dire les nourrir fort convenablement et leur choisir les meilleures écoles de la place, elle arrive néanmoins à leur offrir le nécessaire et leur donner une éducation qui soit à même de leur permettre comme les 6 autres de pouvoir vivre à leur tour dans la dignité et de manière autonome.
« Je n’ai pas été scolarisée, mais j’ai compris en effet que mes enfants doivent l’être. Plutôt peu aidée par leur père, j’ai tout fait pour que cela soit possible », a conclu celle qui devrait en apparence déjà dépasser la soixantaine, arguant qu’elle ne choisirait jamais de transmettre les métiers qu’elle exerce à ses filles.