Le pont Dumarsais Estimé de la Grand-Anse /© photo Duples Plymouth Photography
Par Mérès Weche
Voici le pont, inauguré le 22 avril 1950, qui relie, dans ma pensée, la ville de Jean Brierre et celle de Dumarsais Estimé. Par sa longueur, dans un environnement vert, et comparé au plus long vers d´un poème, cet ouvrage d´art, une merveille de la première moitié du XXe siècle dans la Caraïbe, a été baptisé “alexandrin métallique“ par Jean F. Brierre, poète-écrivain, auteur du roman “Province ou les horizons sans ciel“. J´ai eu l´honneur d´écrire le texte de présentation de ce chef-d´oeuvre, peu connu de la littérature haïtienne, à sa réédition en 2005, sur demande de Dieudonné Fardin, notre ancien Chef de file de la “Pléiade“ au Petit Samedi-Soir.
Le geste auguste de l’inaugurateur
L’expression “alexandrin métallique“ employée par le poète Jean F. Brierre, à l’inauguration de ce pont, en présence du président Dumarsais Estimé et de la Première dame, son épouse Lucienne Heurtelou, se retrouve dans l´extrait ci-dessous du discours prononcé par le poète, en ce 22 avril 1950ː “ … Excellence, Monsieur le président de la République, Jérémie, par ma voix vous ditː Merci chef bien-aimé de la nation. Après 15 ans, c’est vous, digne fils de l’Artibonite, qui avez tenu parole. Il y a trois ans, depuis qu’en ma présence, vous disiez à Me. Herman Jérôme, député de la circonscription de Jérémie, à M. Georges Jérôme, préfet de l´Arrondissement, et à moi-mêmeː “ Mes chers amis de Jérémie, je vous donne ma parole, c’est sous mon gouvernement que sera construit un pont suspendu sur la Grand-Anse“. Aujourd’hui, 22 avril 1950, ce n’est pas un pont que vous avez jeté sur la Grand-Anse, mais un ALEXANDRIN MÉTALLIQUE “.
Ce fragment du discours de Jean Brierre, émaillé d´autres expressions poétiques, rappelant la “poiêsis“ grecː l’art de combiner les sonorités, les rythmes et les mots, pour évoquer des images, comme celle employée par le poète – pour exprimer la beauté de chef-d´œuvre et la grandeur de son réalisateur -, fut publié dans Le Nouvelliste, le 11 septembre 2008, par feu M. Harry Balmir, pour saluer mon article, paru une semaine plus tôt, dans le même Quotidien, dont ce passage avait retenu son attentionː “ Il était une fois, Dumarsais Estimé, originaire de Verrettes, ce fier président, qui parvint à conquérir le cœur de l’austère Jérémie, en la dotant d’un superbe pont volant, qualifié d´“alexandrin métallique“ par le poète Jean Brierre“. Dans la salle de rédaction du Nouvelliste, Me. Balmir ne cessait d’exprimer sa fierté d’avoir été mon professeur, tout en me rappelant quelques petites erreurs historiques commises, relatives à un pseudo complot fomenté par le militaire Paul Eugène Magloire, pour assassiner le président “estimé“, au cours de cette inauguration. Il me manquait certaines précisions dans le récit qui m´a été fait conjointement, à Pétion-Ville, par les deux octogénaires, Éliane Philoctète et Madame Joseph Baguidy.
Un deuxième extrait de discours prononcé à la même occasion, et rapporté par M. Balmir, a été tiré de celui du député de la circonscription de Jérémie, l´Honorable Herman Jérômeː “ … Excellence, je ne le souhaite pas, mais si un jour, sous l’effet dévastateur des forces de la nature, ce pont devrait s’effondrer, comme il le fut en 1935, je suis certain que la plaque portant l’inscriptionː Pont Dumarsais Estimé, inauguré le 22 avril 1950, résisterait aux assauts répétés d’un vent en furie ou d´un fleuve déchaîné“.
Le visage serein du poète, qui allait fêter ses 41 ans en septembre de cette année-là.
Voila ce que furent un président, un député et un poète en 1950. Soixante-dix ans après, ce pont, sous lequel a coulé beaucoup d´eau, continue à desservir la Grand-Anse, selon le vœu du président Estimé, mais à la longue, que sont devenus les promesses électorales et les discours parlementairesɁ…
Mérès Weche