Par Mérès Weche
Dans son prénom comme dans son nom, mon grand ami André Alexis portait la première lettre de l’alphabet, retrouvée dans la grande majorité des langues vivantes; lettre dérivant de l’Alpha, ce Principe premier de l’univers et ce rythme d’éveil du cortex cérébral.
André Alexis, ce grand mystique, qui vient de s’embarquer dans la navette astrale pour l’ultime destination de lumière, croyait dur comme fer que le prénom qu’on porte participe d’une destinée particulière. Frère André, comme l’appelaient tous ses proches et intimes, était conscient du symbolisme de son prénom, et il s’y accommodait comme tout liquide qui prend la forme du vase qui le contient.
Le psychanalyste Charles Baudouin, en analysant le symbolisme de certains grands noms, tels que Freud, Adler et Jung, signifiant respectivement ː joie, aigle et jeune, arrive à la conclusion que ces trois auteurs se sont tous intéressés – selon la signification successive de leur nom – au plaisir, à la volonté de puissance et aux prises de position métaphysiques qu’impose la deuxième moitié de la vie. Évidemment, ce genre de raisonnement, souligne un auteur, est très contestable, mais il plait aux poètes, aux ésotéristes, aux psychanalystes, pour ne nommer que ceux-là. Et s’agissant d’André, ce prénom que portaient deux grands philosophes français, sans oublier un des disciples du Christ, n’est pas sans profonde signification dans la vie d’un homme, car il dérive justement du mot grec Andréis qui signifie Homme.
Plus près de nous, dans le temps, le prénom d’Andréis a d’autres dérivés, tels que Anis dans les pays arabes ; Andreas, au Danemark, en Allemagne et aux Pays-Bas; Andri, en Irlande, et Andrei ou Andrey, en Russie. Tous les grands André qu’a connus le monde, tels qu’André Malraux, André Breton, André Boniface, André Cayette, André Brincourt, André Castelot, et j’en passe, retrouvés dans moult disciplines, littéraires, artistiques, scientifiques ou mystiques, ont été des personnalités de grande envergure sociale et professionnelle.
Ce qu’ils ont de commun avec notre André Alexis qui prend aujourd’hui son cap vers les lieux de la lumière, c’est ce tempérament fort qui le caractérisait et son goût poussé des choses de l’esprit. Lui et moi avions de grands projets communs en écriture qui n’ont pas eu le temps de se concrétiser, et il misait sur notre grande amitié pour en partager la tache dans le strict respect des valeurs liées à la sincérité et à la probité intellectuelle que de telles entreprises exigeraient.
On peut s’appeler André et faillir à sa mission, par ignorance ou par mépris des valeurs cardinales rattachées à ce nom, mais tel n’était pas le cas pour notre André Alexis qui se savait investi d’un rôle majeur dans la société haïtienne, que ce soit dans l’encadrement de ses enfants, dont deux furent mes élèves au Collège Saint-Ignace à Pétion-Ville, que ce soit dans ses rapports avec ses amis, ses frères francs-maçons, aussi bien qu’avec ses collègues de travail à l’ambassade d’Haïti en République Dominicaine. La Grande Loge d’Haïti perd en lui un brillant orateur qui savait comment faire revivre un chapitre mort et comment mettre en valeur les capacités de ses Frères, comme le faisaient jadis Hiram, et plus tard Jacques de Molay, chef des Templiers, pris dans la tourmente de la papauté au XIe siècle.
Le très amical Frère André, à l’extrême droite, en compagnie de Jacques et Michel St-Clair
Pragmatique et foncièrement amical, le sens du jugement de Frère André était souvent sollicité par ses proches qu’il aidait à mieux préciser leurs objectifs, en vue de les mener à bien. Cet André que nous avons perdu était un personnage joyeux, qui aimait amuser la galerie, plaire à ses amis et se faire plaisir lui-même, sans léser les droits qui revenaient à ceux et celles affectés à son service. Il se faisait l’ami de son plus humble serviteur, par conviction qu’on est tous sur terre des frères et sœurs. Frère André symbolisait à lui seul ce concept humaniste qui veut que tout franc-maçon doive être un digne défenseur de la veuve et de l’orphelin. C’est avec désintéressement qu’il venait en aide à des amis en difficulté, sachant pertinemment que sa rétribution viendrait d’en-haut.
Les attaches de Frère André d’avec les lieux saints ne souffraient d’aucune inhibition, car la vie mystique, c’était un pari qu’il avait gagné. Je me rappelle de ce temps où, en transe médiumnique, on le voyait prendre la forme des trois Rois Mages, et c’était visible qu’il passait d’une entité à une autre sans se désintégrer. Chacun trouvait sa part de vérité dans ce qu’il relatait du ciel astral de l’un ou l’autre de ses frères qui attendaient dans la foi les retombées de ses voyages mystiques.
Maître des plus grands chapitres de la franc-maçonnerie, Frère André tenait bien haut l’étendard des chambres secrètes de cette noble confrérie, dans un discours élevé à la dimension de la pure formation doctrinale. Tribun incontournable en matière de théodicée maçonnique, il enseignait à ses pairs la justification des bienfaits du Grand Architecte de l’Univers qui envoya son Fils Unique Jésus sauver le monde. Frère André qui partageait ce prénom avec la figure emblématique de l’oratoire St-Joseph à Montréal, doit pouvoir être reçu en un lieu de gloire, après avoir traversé ce tunnel entre la vie et la mort, que toutes les grandes religions du monde disent déboucher sur une éternité bienheureuse. Raison de plus pour nous, parents, confrères et amis, de sécher nos larmes, car en dépit des questionnements de la science, l’espérance chrétienne n’est pas encore démentie ; il existe une vie après la mort dont de nombreux comateux, revenus à la vie, en ont relaté la vérité. La science médicale en prend acte.
Convaincu que la mort est le passage d’une vie à une autre, pour l’éternité, je vous convie, enfants, parents, amis et collègues de Frère André, à accepter qu’il ne fait que transiter et nous précéder dans un monde bienheureux. Disons-lui à nous revoir.
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