Par Régine Baptiste
Compère Général Soleil est une histoire fracassante, qui, dès sa première ligne, te prend par la main et t’entraine dans un flot d’émotions. Tristesse. Indignation. Rage. Joie.
C’est en fait, l’histoire d’Hilarion Hilarius, qui n’est autre que l’histoire(commune) des prolétaires haïtiens du temps de l’occupation américaine; ne possédant que leur misère, s’enfuient aux quatre coins de l’espoir. C’est aussi une histoire faite de bribes de conscience de classe où un petit groupe de communistes traqués, tient leurs réunions.
L’essentiel de ce récit réside dans les détails. C’est pourquoi, on le sent, l’auteur s’attarde dans une description minutieuse, des lieux, du quotidien, des personnages, ou de quelque tierce personnage de l’histoire. Élément qui met en exergue toutes les tribulations de ces catégories, paysanne et prolétaire, de la société haïtienne.
L’homme « haïtien » n’a que sa misère pour vivre, laquelle, d’ailleurs fut la véritable boussole de sa vie. De fait, celui-ci n’a pas d’attache, du moins ne peut pas en avoir. La patrie, la famille, les ami.e.s ne sont rien face au poids des tribulations. L’histoire est tracée. Des provinces à la ville (Port-au-Prince). De Port-au-Prince à un pays étranger.
Toutefois la quête est même. Un mieux-être. L’illusion que l’ailleurs sera différent, toujours différent, voire prometteur. Ainsi on part avec sa misère, avec son statut de prolétaire, en terre inconnue, en terre étrangère. Le nouvel horizon fait voir de nouvelles perspectives mais jamais de nouvelles tribulations. Disons jamais les mêmes tribulations en terre étrangère. C’est donc là, toute la candeur du voyage.
Situation surprenante pour Hilarion et les autres migrants haïtiens en terre dominicaine, qui sont pour la grande majorité coupeurs de canne. Un soir, sorti de nulle part, le malheur leur frappe de pleins fouets. Rassemblés au champ, ils se font encerclés et fusillés par des soldats dominicains. Odre formel du dictateur Trujillo de faire disparaitre ces scélérats envahisseurs de sa terre. Le rêve devient alors cauchemar. La terre fuguée devient la terre promise. Plus qu’une quête de mieux-être, il faut sauver sa vie.
Pire encore pour Hilarion qui doit sauver celle de sa femme et son fils nouveau-né. La course est lancée, la vie n’est pas loin. Elle est, là où le soleil luit. Et, c’est sous les ordres de celui-ci, de cette petite lumière qu’il faut la chercher. C’est avec cette vérité transmise en message, que mourrut Hilarion,
Compère Général Soleil est écrit dans une langue somptueuse, transcendée par une oralité. On sent la volonté de l’auteur de créer le nègre haïtien, non seulement par ses manies, ses coutumes, ses mythes, mais aussi par son parler. Véritable réceptacle du vécu. Cette langue n’est pas seulement élément de construction du personnage mais aussi canal, voie par laquelle l’histoire est contée. C’est donc la langue du raconter et du vivre. Comme si l’auteur n’a aucune intention de se distancier de son récit.
De plus l’histoire est imbriquée dans une trame descriptive ou la poésie s’installe, lugubre. Métaphore, ellipses, comparaison. Autant de figures que d’images. Jacques Stephen Alexis confirme qu’il n’y pas lieu de séparer la poésie de la narration.