Par Mérès Weche
C’est une constante historique։ empêcher Haïti d’avancer; ce mot d’ordre est vieux comme l’Amérique. À la suite de notre indépendance nationale, proclamée le 1er janvier 1804, il fallait freiner l’élan de ce petit peuple de nègres vers un mieux-être collectif.
Qu’on se souvienne de cette déclaration lapidaire du président américain Franklin Delano Roosevelt։ « Il faut constamment soulever les va-nu-pieds contre les gens à chaussures et mettre les gens à chaussures en état de s’entredéchirer les uns les autres, c’est la seule façon pour nous d’avoir une prédominance continue sur ce pays de nègres qui a conquis son indépendance par les armes. Ce qui est un mauvais exemple pour les 28 millions de noirs d’Amérique ».
Par ces mots, le président Roosevelt exprima toute sa panique, car il reconnut en même temps qu’Haïti était un « Pays » et non une peuplade. « Car le mot, qu’on le sache, est un être vivant », dit Victor Hugo.
Et comme de fait, l’âme de Roosevelt bat la mesure depuis lors au cœur de l’administration américaine.
Peut-on oublier cette autre perle d’un diplomate américain, reprise en grande manchette par le Huffington Post։ « Haïti est une entité chaotique ingouvernable » ᶗ Pure vérité, s’il en est, parce que programmée depuis Franklin Delano Roosevelt. Nous n’en pourrons rien si nous en ignorons le bien-fondé et si nous ne lui opposons cette devise que nous ont léguée nos valeureux ancêtres։ « L’Union fait la force ». C’est là que prend source ce concept moderne de la « Conférence nationale ».
Depuis le génial Toussaint Louverture, qui glissa comme un mercure sous les doigts des grands décideurs coloniaux, passant successivement et sans attache réelle, sous les pavillons։ anglais, français et espagnol, la typologie haïtienne s’est toujours montrée réfractaire à la soumission aveugle.
Depuis plus de deux siècles, Haïti – quoique appauvri et non pauvre – s’impose comme le pays de la jurisprudence étonnante. En 1956, le diplomate Jean Brierre fit fièrement flotter le drapeau haïtien en Argentine; ce fut avec un flegme inédit, pour un petit pays, et armé du Droit international, qu’il affronta un commando de vingt hommes, sous les ordres du général Domingo Quaranta, pour ne pas livrer des réfugiés politiques accourus à l’ambassade haïtienne.
Voici par quels mots s’illustra cette dignité nationale։ « Les petits pays doivent être respectés scrupuleusement, pour que le Droit demeure un impératif moral et non de force ».
Autre fait marquant, à valeur de jurisprudence, plus récent que celui illustré par Jean Brierre, c’est quand le génial Emmanuel Sanon brisa le mythe d’un Dino Zoff imbattable, en enlevant la virginité de son filet au cours de la Coupe du Monde de 1974 en Allemagne.
En effet, le plus ancien acte de jurisprudence connu dans le monde remonte à la fondation de la nation haïtienne par l’intrépide Jean-Jacques Dessalines qui fut le premier chef d’État à nationaliser des immigrants en leur reconnaissant des droits d’asile et de nouvelle appartenance nationale; tout cela fut inscrit dans la Constitution de 1805.
L’on verra, cent ans plus tard, Haïti accueillir des émigrés venus d’Extrême Orient et leur donner la nationalité haïtienne. J’entends encore le jeune footballer Steevens Saba, descendant desdits émigrés, prononcer, au cours d’une interview, ces mots pleins de sens։ « Nous sommes tous des frères qui se battent pour le même objectif ».
Les exemples de jurisprudence à dimension mondiale sont légion dans l’histoire d’Haïti. Hugo Chavez ne ménageait pas ses mots pour combler notre pays d’ éloges en reconnaissant publiquement la dette du Venezuela envers Haïti en la personne d’Alexandre Pétion qui donna vivres, armes et munitions à Miranda, puis à Bolivar, pour libérer la Grande Colombie de la servitude espagnole.
De même que les va-nu-pieds de 1803 firent mordre la poussière à la plus forte armée au monde, celle de Napoléon Bonaparte, ce n’est pas une surprise que ces nouveaux grenadiers, démunis en matière d’infrastructure sportive, s’imposent aux Canadiens et aux Mexicains. Leur force réside dans cette ardeur guerrière de la race, depuis l’Afrique jusqu’à la colonie de Saint-Domingue.
On aura beau nous retenir, nous marcherons en lignes serrées vers la victoire finale.