Par L’Obs avec AFP
Descendante d’une famille d’esclaves, Toni Morrison, décédée à 88 ans, était connue pour avoir donné une visibilité littéraire aux Noirs. Elle était prix Nobel de littérature.
« Toni Morrison est décédée paisiblement la nuit dernière, entourée de sa famille et de ses amis », a précisé un communiqué de ses proches. Descendante d’une famille d’esclaves, Toni Morrison est connue pour avoir donné une visibilité littéraire à l’Amérique noire.
Née en 1931 dans l’Ohio, Toni Morrison était lauréate du prix Pulitzer en 1988 pour « Beloved », et du prix Nobel de littérature en 1993. Elle était à ce jour la huitième femme et la seule autrice afro-américaine à avoir reçu cette distinction.
Le roman « Beloved », qui raconte l’histoire de Sethe, une ancienne esclave, hantée par le fantôme de sa fille, a fait connaître Toni Morrison en France en 1989. Sa notoriété américaine était venue dix ans plus tôt, avec « Sula » (1973) et « Le Chant de Salomon » (1977).
« Je suis bien décidée à neutraliser le racisme mesquin »
Après avoir travaillé comme éditrice chez Random – éditant notamment les autobiographies de Mohammed Ali et d’Angela Davis, ainsi qu’une anthologie d’écrivains noirs « The Black Book » – et enseigné la littérature à l’université de Princeton, elle a publié son premier livre « L’Oeil le plus bleu », à l’âge de 39 ans.
Autrice d’une dizaine de romans dont « Délivrance », « Home » ou « Paradis » ; de livres pour enfants, de nouvelles et d’essais, elle s’était imposée comme l’une des figures de la conscience morale de l’Amérique, questionnant sans cesse les origines du racisme, souillure originelle des Etats-Unis. Cette histoire marquée par l’esclavage et la ségrégation raciale aura été au cœur de toute son œuvre.
Dans « Délivrances », elle racontait l’histoire de Bride, une femme rejetée par sa mère à cause de la couleur de sa peau, trop noire, et qui parviendra à se délivrer de ses démons au prix d’un mensonge destructeur. Toni Morrison a inlassablement mis en scène les discriminations, qu’elles touchent la race, la classe ou le genre, montrant qu’elles sont le produit du langage. Et c’est par la langue, la sienne, d’un lyrisme brut, qu’elle s’y est attaquée.
Dans « L’Origine des autres » (éd. Bourgois), l’un de ses derniers livres parus en français, elle écrivait ainsi :
« Je ne demande pas à ce que l’on me rejoigne dans cet effort. Mais je suis bien décidée à neutraliser le racisme mesquin, à anéantir et à discréditer l’obsession ordinaire, facile et accessible de la couleur, qui rappelle l’esclavage lui-même. »
Elle y aura contribué en faisant émerger toute une nouvelle génération d’écrivain.e.s noir.e.s, de Ta-Nehisi Coates à Taiye Selasi. Dans l’Amérique de Trump, récemment endeuillée par de nouveaux crimes racistes, sa parole manquera d’autant plus cruellement. Ses livres demeurent, chefs-d’œuvre de la littérature et outils de combat. A Stockholm, elle concluait son discours de réception du prix Nobel par ces mots : « Nous mourons. C’est peut-être le sens de la vie. Mais nous faisons le langage. C’est peut-être la mesure de nos vies. »