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Deux chemins esthétiques menant à Émile Roumer ː l’écriture et le documentaire
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Deux chemins esthétiques menant à Émile Roumer ː l’écriture et le documentaire

Par Jean Emmanuel Jacquet

L’écriture, comme genre littéraire, est vieille comme le monde. Véhicule de divers courants d’idées à travers les siècles, elle a servi à faire connaitre les grands de tout l’univers, pour que ne meure la mémoire de l’humanité. Comme ensemble de signes conventionnels représentant la parole et la pensée, l’écriture se fait de plus en plus le support d’autres formes d’expressions plus modernes qui ne peuvent véritablement se passer d’elle.

En effet, c’est par l’écriture que l’auteur jérémien Eddy Cavé a évoqué la mémoire du poète Émile Roumer, dans son livre De mémoire de Jérémien, qui lui ouvrit, en 2011, la voie de Livres en Folie à Port-au-Prince. Environ vingt pages de cette Somme littéraire sont accordées au poète Émile Roumer, pour parler en long et en large de sa vie et de son œuvre.

Ce livre publié en deux tomes, dont le deuxième, ample de 500 pages, est préfacé par Jean Fleurival, constitue, selon l’auteur, un “devoir de mémoire“ envers ses amis disparus. Revêtue en pages de couverture, au recto comme au verso, de profils d’hommes et de femmes, cette publication représente toute une mosaïque de souvenirs dans laquelle Émile Roumer occupe une place de choix. D’entrée de jeu, Eddy Cavé marque le grand écart d’âge entre son mentor et lui ː “ Mèt Emil, écrit-il, était plutôt l’ami de mon père, mais il m’a toujours traité en jeune ami de sorte qu’il a pleinement sa place dans ces hommages aux amis disparus“.

Figure emblématique de la poésie haïtienne, prototype du Jérémien authentique, l’homme qui ne pouvait entendre sonner le glas dans sa ville, sans se demander pour qui, de manière à lui rendre un dernier hommage, Émile Roumer domine ce livre d’Eddy Cavé, à la fois par son originalité et son particularisme de poète éponyme de la littérature haïtienne.

Porté à l’écran par Mérès Weche, sous son pseudonyme Émilius Niger, nom de plume adopté à Paris par le poète en 1925, à la parution de sa première plaquette “ Poèmes d’Haïti et de France“, Émile Roumer, mort il y a trente-deux ans, en 1988, revit dans toute sa vigueur de polémiste et d’épicurien ; deux caractéristiques qu’il assume, sans regimber, dans un vibrant dialogue à Radio Haïti Inter, en 1972, avec Jean-Léopold Dominique.

Tout le long de ce documentaire, qui s’ouvre avec la voix de Badiona Bazin, présentant le Réalisateur Mérès Weche, Émile Roumer capte l’attention de son auditoire par son flegme à tout casser pour stigmatiser les fossoyeurs de la nation haïtienne, de l’occupation américaine à nos jours. Dans une scène très particulière, il dénonce l’absence successive de volonté gouvernementale à mettre sur pied un vrai processus d’alphabétisation au pays, dont l’idée, dans la Caraïbe et l’Amérique centrale, partit d’Haïti, avant Cuba et le Nicaragua.

Réalisé sur fond de son texte poétique Marabout de mon cœur, mis en musique par Dòdòf Legros, ce documentaire de 60 minutes tire sa source de la Télévision Nationale d’Haïti qui dépêcha, en 1988, à la mort du poète, survenue à Francfort-sur-le Maine en Allemagne, une équipe de tournage à ses funérailles dans sa ville natale Jérémie Haïti; initiative de Mérès Weche, dès lors Directeur de l’information à la RTNH.

Ces images qui datent d’une trentaine d’années et qui n’existent peut-être même plus à cette Télévision d’État, ont été conservées à la fois par Eddy Cavé, Blondel Auguste et surtout Mérès Weche lui-même, à des fins de préservation de la mémoire patrimoniale jérémienne. Dans ce documentaire, l’incontournable Prosper Auguste, ami intime et partenaire du poète au jeu de dames, donne un témoignage vivant de l’homme à qui il devait sa performance dans l’enseignement du créole à Jérémie et à Port-au-Prince.

On découvre dans ledit documentaire tout l’attachement du poète à sa ville nataleː ses amours, son érotisme, son bagout pour la parole culinaire liée à la femme dans son très beau poème Marabout de mon cœur, au sujet duquel Jean Léopold Dominique n’a pas hésité un instant à lui tirer les vers du nez sur les noms de jeunes filles qui se cachent derrière ces vers à saveur de fruits juteux et de mets bien apprêtés.

Ce documentaire, déja projeté à Montréal en octobre 2019, et à Ottawa au début de janvier 2020, vaut à Émile Roumer d’être choisi cette année comme invité d’honneur à titre posthume au Salon du livre de Marigot, dans le Sud-est Haïti en mai prochain. Il sera à sa 3e Grande Première.

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