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Libre-pensée et haïtianité dans la poésie haïtienne d’expression créole
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Libre-pensée et haïtianité dans la poésie haïtienne d’expression créole

Par Joaner-Gelin SULFACE / Ecrivain-Poète

 

La poésie haïtienne a toujours été par le passé un espace de discours privilégié, entre les mains d’une infirme minorité d’intellectuels. La première génération de poètes ayant fait des études en France, et dans des écoles congréganistes aisées en Haïti, malgré le discours contestataire que charrient leurs écrits, a enfermé l’art poétique haïtien dans un certain conformisme. Ce dernier est bien visible tant dans le type de vocabulaire qu’ils choisissent que dans le fond. Ils n’écrivaient pas dans la langue maternelle par souci de garder le côté fantaisiste de la langue française, car pendant longtemps la technicité au niveau de la versification a fait l’objet de charme. Les Elites haïtiennes, en particulier les poètes, n’ont jamais considéré le Français comme moyen d’expression mais comme outil de différenciation sociale.

 

En faisant l’usage de cette langue, ils avaient la prétention de maintenir une domination culturelle et intellectuelle sur l’immensité des âmes paysannes qui côtoient ce grand petit pays. Pour garder la fantaisie linguistique qu’ils prétendaient défendre, le non-choix d’un écrit trop radical apparaissait comme évident. En effet, la libre-pensée était absente dans la production littéraire. Autrement dit l’expression originale de l’âme du poète n’a pas été souvent mis sur papier. Même lorsque sa colère dépasse celle des vagues folles de la mer en plein nordé, ils brossaient la langue avec une certaine esthétique tout en respectant les interdits ou excès de production. L’esclavage linguistique était au rendez-vous avec la plume de ce que nous appelons jusqu’à date les meilleures plumes haïtiennes.

 

L’Ecole indigéniste nous a offert une nouvelle voie par sa conception de l’art. Ce dernier a pu sortir du snobisme pour devenir la scène de contestation socio-politique mais aussi culturelle. En pleine occupation américaine d’Haïti, des poètes haïtiens ont embrassé le créole comme la meilleure arme afin qu’ils puissent témoigner leur indignation face à l’occupant. Cette conscientisation de la langue est due aux idées maintenues avec la plus grande ténacité par le brillant Sociologue Jean Price Mars, dans son livre d’or « Ainsi parla l’oncle » paru en 1928. Un texte par lequel il s’est mis en garde contre le bovarysme, préconisant un retour aux valeurs identitaires dont le créole. On ne peut pas s’en passer des poètes indigénistes. Ils sont les premiers à poser les jalons d’une poésie haïtienne d’expression créole libérée des interdits.

 

On se souvient  de la manière dont Morisseau Leroy a mis à nu l’organisation des Etats Américains « OEA se yon bouzen ». D’autres poètes de cette génération ont fait pareille chose c’est-á-dire donner la liberté à la parole dans la langue maternelle. Beaucoup d’auteurs contemporains ont hérité de cette liberté d’expression. Par exemple Georges Castera est le prototype du poète-libre qui, pendant plus d’une vingtaine d’années, a  produit des textes en créole sans le moindre complexe langagier. Il dit ce qu’il ressent par le biais d’un vocabulaire puisé dans le quotidien, dans les quartiers populaires, dans les milieux ruraux en prenant soin de les agencer dans des poèmes surréalistes.

 

Aujourd’hui une panoplie de poètes comme Joaner-Gelin SULFACE, Darly RENOIS, Selmy ACCILIEN, Anderson DOVILAS, Jessica NAZAIRE, Bonel AUGUSTE, Iléus PAPILLON continuent cette bataille de liberté initiée par leurs devanciers. C’est intéressant de voir la présence de l’haitianité dans les textes créoles. On y retrouve des expressions propres au vaudou (bizango, makanda, balendjo). D’autres sont puisées dans le langage paysan (lanjelis, douvanjou, laplivan, kaselwezo). C’est bien l’âme haïtienne écrite sur des papiers dorés avec un brin d’esthétique pour faire crier de vie les passionnés de la poésie. Il est plus difficile de faire chose pareille dans la langue française coloniale. La langue créole n’est-elle pas devenue un langage poétique de liberté, le langage de l’âme haïtienne ?

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