Now Reading:
Pour célébrer la vie de Maurice Sixto
Full Article 5 minutes read

Pour célébrer la vie de Maurice Sixto

Mérès Weche

 

Pour m´accommoder au vœu de mon ami Claude Bernard Sérant du Nouvelliste, sur la nécessité d’un focus sur Maurice Sixto, à l’occasion de la commémoration de sa mort, survenue le 12 mai 1984, il y a déjà 36 ans, je trouve qu´une meilleure occasion se présente à moi de le faire, à quelques jours seulement de sa date de naissance, le 23 mai prochain. Ce sera l’occasion pour Le Nouvelliste de célébrer sa vie, au lieu de sa mort.

 

Fils de l’ingénieur Alfrédo Sixto et de son épouse Maria Bourand, Maurice Sixto est né aux Gonaïves, le 23 mai 1919. Côté paternel, il est le petit-fils d´Adolphe Sixto, originaire des Ȋles Vierges, dans l’archipel des Petites Antilles. Côté maternel, son aïeul c´est bien le Baron de Vastey, de même souche parentale qu´Oswald Durand et Alexandre Dumas, car sa mère Maria est de Vastey de naissance. Mon ami Sérant m´a donc offert, avec Maurice Sixto, le troisième côté qui me manquait pour construire ce beau triangle d´hommes célèbres partageant un même ADN.

 

Après de brillantes études primaires chez les Frères de l’Instruction Chrétienne de sa ville natale, Maurice Sixto sera automatiquement reçu à l’institution Saint-Louis de Gonzague, à Port-au-Prince, appartenant à la même congrégation religieuse. Dans sa biographie, écrite par la Fondation Maurice Sixto, organisme qui fait la promotion de son œuvre, depuis au moins une douzaine d’années, à travers des célébrations, au pays comme à l’étranger, je retiens cette anecdote qui me fait croire qu´en arrière de cet humaniste, sensible au sort des petites gens, se cachait un aristocrate. J´ai lu ceci dans ladite biographieː“ En subissant les épreuves du baccalauréat, un de ses examinateurs, Luc Grimard, étonné de son intelligence, lui fit la questionː D´où venez-vous, jeune hommeɁ Maurice Sixto répondit fièrementː “ Des Gonaïves, je suis le petit-fils d´Alice de Vastey“. Et Luc Grimard d’ajouterː “ Sous cette combinaison, je vois le Baron“. De là, je rejoins ce penseur qui eut à direː “ Il faut un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu“. Dans tout jugement, comme dans toute vision, il faut de la distance pour ne pas être aveuglé. Sixto était bien placé socialement pour tout “voir“ avec les yeux de son âme sensible de poète, beaucoup mieux même que s´il pouvait utiliser ses yeux de chair. C´est la raison pour laquelle je ne le représente pas avec des lunettes noires, car il ne les portait que comme barrière psychologique entre son regard et celui de cette société qu´il dépeignait d´un oral inégalable.

 

Je me prive d’élaborer longuement sur sa carrière professionnelle de traducteur et de porte-parole diplomatique, pour plutôt peindre son panorama de créateur hors du commun. Auteur d´une trentaine de savoureux récits sur la vie haïtienne de tous les jours, retraçant, à la manière des romanciers de La Ronde, les traits caractéristiques de notre société, Maurice Sixto s´est révélé un observateur impénitent de nos mœurs, dans ce qu´elles ont de plus répugnant et de plus acrimonieux. Son tout premier tableau, “Léya Kokoyé“, suivi de “ Bòs Chabran“ , formant le premier volume de sa vaste créativité, Maurice Sixto abondera dans des scènes, les unes plus typiques que les autres, “ que lorsqu’on vient d´en rire on devait en pleurer “ . Combinant en lui seul le génie d´un La Fontaine et celui d´un Molière, on peut dire que son théâtre, nourri de la saveur et de l’imagerie de la langue créole, va au-delà de ces superstructures classiques, pour être inspiré de la matrice même du peuple haïtien, dans toutes ses composantes sociales. Sixto a pu sucer la substantifique moëlle de l´oralité haïtienne, pour en tirer ce “suc“ qui donne un goût particulier à ses récits. Qui peut résister à l´envie d’écouter et de réécouter “ Zabèlbòk Bèrachat “, “ Ti Sentaniz “, “ Madan Senvilis “, “ Gwo Moso “, “ J´ai vengé la race “, pour ne citer que ceux-là, d´un ton à vous couper le souffleɁ…

 

En termes de classification, dans la littérature haïtienne, il est extrêmement difficile de situer Maurice Sixto dans un quelconque courant de pensée, car il ne se révèle pas un “ littéraire “ dans le sens “scolaire et classique“ du terme, car son texte est pure parole, proche de l’expressivité de ces sambas, non régis par l´écriture comme signe conventionnel. L´œuvre orale de Sixto, située entre le réel et la légende, est appelée à perdurer, tant qu´il existera des hommes et des femmes, doués de “sens“, à l’écouter, sans distanciation sociale, et surtout sans complexe de compréhension. On la classe dans la catégorie des “ Lodyans “, certes ; elle en est toutefois une tendance, avec la seule différence qu´elle ne peut être parcourue des yeux, parce que n’étant pas “savante“, mais purement empirique.

 

A Montréal, dans le cadre du Mois “Créole“, le KEPKAA, en collaboration avec les chanteuses Barbara Guillaume et Tifane, avait célébré, une fois de plus, en 2019, la vie de ce Mage de la littérature orale haitienne. Espérons que la reprise d´une telle manifestation, ne sera pas que virtuelle, en octobre 2020, à cause du confinement .

 

 

Laisser une réponse

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Input your search keywords and press Enter.