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5 questions à l’entrepreneure et designer Phelicia Dell
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5 questions à l’entrepreneure et designer Phelicia Dell

Par Lord Edwin Byron

Dans notre rubrique 5 questions à un.e professionnel.le, nous rencontrons Phelicia Dell, entrepreneure et designer, cheville ouvrière de Vèvè Collection. Elle partage avec nous son expérience et ses projets en tant que créatrice et entrepreneure, sans oublier ses rêves les plus chers pour la culture haïtienne.

 

SiBelle Haïti : Phelicia Dell, c’est plus de quinze ans de création et une reconnaissance incontestée dans le milieu culturel haïtien, pouvez-vous nous parler un peu des moments marquants de votre carrière ? 

 

Phelicia Dell: Je dirais que c’est le tout début de ma carrière d’artisan qui m’a marquée le plus, car quand j’ai décidé de faire ce voyage dans la mode, j’étais à genoux face à des difficultés énormes. Je venais de perdre le père de ma fille âgée d’un an. L’année après son assassinat, on m’a volé la maison où je vivais, bien sûr avec la complicité de la justice Haïtienne.

Suite à son assassinat en 2004, je me suis retrouvée sans emploi et à ce moment j’étais dans l’obligation de me recréer une porte de sortie, car j’avais un bébé d’un an à nourrir et j’avais beaucoup de problèmes financiers à résoudre.

C’était aussi la couverture du Journal Culture de Miami Herald en 2009 qui m’a fait péter le plafond de joie et d’émotion. J’ai appelé ma mère en urgence pour lui dire « maman Vèvè collection est en couverture sur Miami Herald, va acheter une copie maintenant à la boutique du quartier » c’était l’euphorie une joie régnait à l’atelier, je n’ai pas dormi ce soir-là, j’ai passé la nuit a travailler sur des coquilles de sacs en folie, aujourd’hui encore dans mes tiroirs. Qui est pour moi une collection féerique, une collection de rêve.

Un autre moment marquant de ma carrière de créatrice de mode, c’est l’annonce du prix DVF en 2009. J’ai gagné ce concours a un moment décisif où je devais faire un choix assez important dans ma vie, entre continuer à travailler en Haïti ou répondre à un offre d’emploi dans un atelier à l’étranger.

Le prix DVF était pour moi cette carte blanche vers l’excellence, j’étais contente et très fière. Avec ce prix, j’avais la certitude que je devais continuer à travailler ici, à ce moment précis j’avais pris la décision de construire mon empire chez moi en Haïti.

Un autre moment qui m’a marqué aussi, est cette publication de News Week Magazine. Dans son Edition de Mars 2010, News Week Magazine m’a honorée parmi 150 personnalités qui font bouger leurs mondes dans le monde.

Pour moi, c’était très fort, il y avait beaucoup d’émotion en lisant ce lien de l’article. Là je me suis dit que c’est du sérieux, et j’avais compris que je ne m’appartenais plus et que je suis une ambassadrice d’art pour Haïti

Deux ans après j’ai gagné le concours de Digicel entrepreneur émergent de l’année C’était un moment extraordinaire, car ma fille avait l’âge de comprendre ce que je faisais comme travail, elle m’accompagnait dans mes présentations et défilés de collection. Elle était tellement fière de moi et je me souviens encore de son visage qui brillait de mille feux quand on m’appelait pour recevoir le prix.

Il y a tellement de grands moments ! En 2015, j’ai été honorée à la Jamaïque parmi 2 autres designers. Cette distinction baptisée “Master Designer de la Caraïbe”, m’a donné cette liberté et cette force d’avancer vers l’excellence.

Ce titre, me donne la force et le désir de travailler sur des projets ambitieux et de construire l’impossible à travers mes rêves d’artistes.

Le plus récent, c’est ce prestigieux hommage rendu à 50 femmes Haïtiennes modèles et inspirantes. Cette initiative de IFTH m’a permis n’ont seulement de rencontrer et de découvrir d’autres femmes qui font des choses extraordinaires à travers le pays, mais surtout elle m’a permis d’être en contact constant avec ces femmes sur un plateforme monté depuis ce jour sur demande et à travers le leadership de Marie Alice Theard.

 

S.H: Vous êtes considérée comme l’une des rares stylistes à pouvoir jumeler avec un si grande liberté et complicité le vaudou et la mode, d’où est venu ce choix artistique ? 

 

P. D: Le concept de VèVè Collections est né en 2005. J’ai continué mon voyage en me donnant une nouvelle quête et là, je consacrais mon talent à créer la ligne parfaite de vêtements de mode reflétant non seulement la culture haïtienne, mais surtout la culture vodou. Il y a tellement de tabous autour de cette culture. Le vodou, c’est ce cordon qui garde ce peuple attaché mystiquement à cette terre. Le Vèvè, c’est ce tuyau de communication utilisé par les héritiers pour communiquer avec ces esprits qui sont les gardiens mandatés de cette terre. Le défi pour moi, c’était de trouver cet équilibre entre les non croyants, les croyants et les pratiquants pour ensuite les convaincre a adhérer à mon unique projet qui est de vendre Haïti à travers sa culture. Ma mission d’abord, c’est de travailler sur le côté purement esthétique du vodou, le présenter et le vendre différemment sur un plateforme mondial qui permettra a plus d’un de changer leur conception sur le vodou. Ma mission, c’est aussi de pousser les gens à comprendre et à accepter cette richesse culturelle. Ma mission, c’est de permettre une vulgarisation de cet art au profit des artisans. J’ai vu un vide dans l’industrie de la mode et j’ai cherché à créer une marque qui offre style et sophistication tout en répondant aux besoins des hommes et des femmes de tous les jours comme moi, des gens attachés a cette belle culture, des adhérants du secteur et les initier. J’étais assise à l’intérieur de ma maison en train de regarder mes restes de tissus de mon entreprise précédente, et j’ai pensé que c’était maintenant un moyen idéal pour commencer à créer de la valeur pour ce secteur, surtout pour l’artisanat haïtien, et donner vie à une nouvelle industrie, en captivant les drapeaux vaudous haïtiens pour produire une ligne de haute couture et promouvoir le sens de l’art et de la couture d’Haïti à travers le monde. Voilà comment est née la marque VèVè.

 

S.H: Parlez-nous de l’image d’Haïti sur le plan artisanal à travers vos collections. 

 

P. D: Pour moi l’image de la marque, c’est indiscutablement Haïti. Mes conceptions sont basées sur l’art Haïtien. A travers mes collections, je rends hommage à plusieurs personnalités d’Haïti. J’ai des collections qui mettent en valeur le Drapeau Haïtien, Il y en a d’autres qui mettent en valeur la paysannerie, les plages, etc. Je travaille avec les artisans du bois, les artisans des os et des cornes de bœufs. Je travaille avec la paille tissée par les artisans du sud. Je mets en valeur la broderie des femmes de la Vallée de Jacmel à travers plusieurs pièces d’art. C’est une ligne qui garde sa valeur à travers le pelage des tableaux vodou et qui est restée encore aujourd’hui l’image initiale de la marque. Sincèrement il y a une participation collective de l’artisan haïtien à travers mes œuvres, car je crée avec cette liberté artistique qui me permet de briller et d’aider les autres à rêver et à se préparer pour assurer la relève.

Je travaille dans un pays où une forte population est traversée par la culture, particulièrement celle du vaudou. Ma notoriété d’artiste qui œuvre dans ce registre est confirmée à travers une démarche collective découlant d’un besoin de valorisation de ce savoir-faire.

Je touche directement plusieurs familles qui, depuis de nombreuses années, travaillent dans l’ombre dans ce secteur sans retombées économiques considérables. Aujourd’hui l’art Haïtien en général et l’artisanat du secteur vaudou en particulier trouvent leur place dans les plus grands salons de la place; le décor de plusieurs de nos plus grands hôtels met en vedette ce savoir faire de nos ainé.e.s qui aujourd’hui trouve de grands plateformes grâce à nos efforts constants à travers la marque VèVè Collection.

Aujourd’hui VèVè Collection est un mouvement, la marque est devenue un leader pour une jeunesse en quête de savoir et d’identité. Avec le lancement de VèVè Collection, plusieurs ont compris la nécessité d’embarquer dans notre démarche. Grace au travail de marketing aigu de la marque VèVè Collection, nous avons des milliers d’artisans aujourd’hui qui travaillent fièrement sur les « Vèvè ». Nous avons inspiré des designers, pas des moindres, à travailler sur des collections teintes avec les diagrammes Vèvè sans réserves. Nous avons inspire6 pas mal de jeunes à monter leurs propres entreprises d’artisanats, même si beaucoup d’entre eux nous ont secoué financièrement, car ils ne faisaient que du copy / paste de nos produits. Mais ce que vous devriez retenir, c’est que nous avons créé une ligne de produits qui a donné du travail directement ou indirectement à plus d’un et à garder plusieurs jeunes occupés. Aujourd’hui, nous avons une association qui regroupe des centaines de jeunes à travers le pays et dans la diaspora qui travaille avec nous pour l’émancipation d’Haïti à travers l’art. Ils sont dans nos ateliers de design, de coupe, de montage et d’emballage. Ils sont dans nos ateliers de costumes de Carnaval, costumes de scènes et de rues. Ils sont dans notre structure de vente et de marketing. Ils sont dans notre staff de décor, montage de scènes artistiques et montage de magasins ambulants. VèVè Collection est devenue une véritable machine de développement pour l’artisanat d’Haïti.

 

S.H: Vous n’êtes pas simplement la désigner de Vèvè Collection, vous êtes une figure incontournable de l’artisanat surtout des accessoires, comment voyez-vous l’évolution de l’artisanat haïtien durant ces dix dernières années ? 

 

P. D: L’artisanat Haïtien a fait énormément de progrès ces dix dernières années au niveau local, malheureusement sans marché, sans pouvoir d’achats et avec une crise politiques aiguë engendrer par nos leaders, nous sommes condamnés a créer pour la galerie pour faire plaisir à nos amis et des milliers de likes sur les réseaux sociaux.

Il y a 15 ans de cela au Ministère du Commerce l’agent qui devait enregistrer la marque se demandait dans quel registre l’enregistrer. Je me souviens qu’il avait des difficultés à l’inscrire.

Quand j’ai lancé la marque, il n’avait pas beaucoup de gens qui pensaient à déposer leur marques, ils étaient tous dans l’informel.

En 2006, il n’y avait pas beaucoup qui pensaient que l’emballage et les étiquettes étaient d’une importance capitale pour l’image d’une marque de produit.

J’ai pratiquement innové beaucoup de choses avec le lancement de la marque sur le marché.

J’ai ouvert une boutique de mode et d’artisanat haut de gamme, il n’y en avait pas beaucoup à cette époque, mais tout cela était inscrit dans cette démarche de proposer et d’aller faire campagne vers les clients qui étaient intéressés à ce que nous proposons dans le secteur. Finalement j‘ai dû fermer après le fameux pays Lock, car je ne pouvais plus tenir. Je crois qu’aujourd’hui nous avons des efforts considérables et collectifs à faire pour fixer nos priorités pour Haïti. Pour moi, la meilleure façon d’aborder ce problème d’évolution est d’identifier d’autres marchés et trouver accès à ces marchés pour pouvoir liquider nos stocks, garder nos artisans au travail et éventuellement faire de l’artisanat d’Haïti une référence sûre dans la Caraïbe et pourquoi pas sur le marcher mondial.

Mais maintenant, après avoir trouvé ces marchés, l’important était de trouver une façon de garantir les productions et les livraisons avec cette instabilité chronique qui ronge le pays.

Ce secteur artistique particulièrement l’artisanat est le secteur le plus touché par cette turbulence politique et nous en avons encaissé les coups de cette querelle politique qui ne nous rapporte que de la mauvaise publicité et de la misère. Nous perdons chaque jours nos ressources grâce à cette destruction continuelle. Nous avons un pays à fort potentiel artistique et nous avons une jeunesse en quête d’identité et de savoir-faire. Pour nous, c’est d’abord éduquer les jeunes à travers l’art et renfoncer leur capacité de devenir autonome avant tout. Mais comment le faire, comment leur donner cette garantie que moi je n’ai pas eu pendant les 15 dernières années pour continuer a rêver.

Comment trouver un accord avec tous les acteurs pour qu’enfin nous respirions un autre air et redonner à l’artisanat Haïtien sa place comme outil de développement durable. Le pays a énormément de défis a relever. L’un de nos plus grand défis, c’est de pouvoir donner du travail à la population. L’industrie créative pour moi est un outil incontournable dans le développement d’Haïti. Ma vision est claire, c’est de voir participer chaque citoyen directement ou indirectement à la vulgarisation et à la redynamisation du secteur pour la valorisation de l’art haïtien.

 

S.H: Quels sont vos projets à court et à long terme?

 

P. D: Les projets sont multiples et ambitieux, nombreux sont encore en forme de noyaux. Mais sincèrement je dois vous dire que l’un de mes rêves les plus chers, c’est de pouvoir partager mon savoir-faire avec cette génération de jeunes qui se cherche partout et qui a grand besoin de vraies références pour la continuité de sa lutte existentielle. Pour les autres on aura le temps d’en parler.

Merci pour cette espace que vous me donnez, pour cette possibilité de partager avec le public et mes fans ma passion pour l’art et la culture.

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