Par Voltaire Jean
L’émotion n’est plus à son comble, même quand la blessure est encore béante sur ces visages de rescapés, tous narrateurs/auteurs d’un échec qui n’est pas seulement le leur. Aux récits pathétiques des grandes chaines de télévision internationales se sont substitués le désenchantement et la frustration des déçus de la reconstruction. Comme si ce pays et le peuple qui l’habite n’étaient plus à même de produire des « médias events », tant les catastrophes sont devenues banales.
Dix ans après ce cauchemar, où le temps s’est arrêté à 4 h 53 de l’après-midi, Haïti ne finit toujours pas d’étaler ses morts : La Saline, Nan Tokyo, Carrefour Feuille, Bel-air, Cité Soleil. Des « morts sans importance » qui nous auront toutefois appris qu’il n’existe pas de catastrophe naturelle mais de cataclysme politique et social.
Politique, parce que les drames humanitaires sont généralement le résultat des choix des gouvernants. Social, parce que la majorité des victimes de ces drames sont toujours ceux et celles occupant le plus bas de l’échelle et qui, de ce fait, se retrouvent souvent en situation de grande vulnérabilité.
Dix ans après le 12 janvier 2010, les statistiques officielles se font encore attendre. Environ deux cent trente mille morts, dit-on. Pas plus. Rien des centaines d’estropiés se trouvant brusquement en situation de mobilité réduite. Rien des dizaines et des dizaines d’enfants se retrouvant, l’espace d’une secousse, orphelins de père et de mère. Rien non plus des centaines de milliers d’espoirs assassinés à travers des promesses non tenues. Et le pays, toujours aussi gangrené par les inégalités, a encore du mal à recenser sa population, celle des survivants, bien sûr, dont le marketing humanitaire a loué la résilience, mais aussi celle des natifs du chaos post séisme.
Dix ans après, le pays fait dramatiquement face à une perte de mémoire de l’événement présenté dans les prédications des religieux protestants comme un châtiment de Dieu. Or, sans mémoire, sans vécu de la catastrophe, sera-t-il possible de développer une conscience du risque, condition essentielle à la définition et à la mise en œuvre de toute stratégie viable de gestion des risques et des catastrophes ?
Dix ans après, Haïti a crucialement besoin de se rappeler pour continuer à croire et espérer.