Par Stephen B. Alexandre
« Il pleut de nuit dans mon dos / Il pleut du jour au-delà des cris /Tonitruants des orages aux prises /Avec des nuées indomptables /Bavant tels des épileptiques »
Être poète, c’est définitivement détenir une clé donnant accès aux mondes les plus mystérieux. Le cas de Dierf Dumène, n’esquive pas les considérations et les sensibilités auxquelles nous sommes habitués. Lui, poète, d’abord. Si l’on tient compte de son sens méticuleux dans cette économie de modeler et de constituer sa géographie intime et surtout de se laisser habiter par son univers, celui des autres aussi. Espiègle ensuite. Oui, puisqu’il sait fusionner ses émotions et les soumettre à un tissage de vécus pluriels, pour sans doute mieux rejoindre sa véritable intensité.
La poésie de Dierf Dumène, comme celle de plus d’un poète de sa génération, jette le pont entre le temps et l’espace, les dissocie à volonté pour mieux tirer sa part de brièveté et mesurer la vitesse du temps à ses folies. Dans ses folies, c’est parfois les jours absents qui sont ramenés sous des couleurs intemporelles.
« La lune frêle comme / Une seconde foulée aux pieds / Se glisse tout doucement / Entre les rides du soir / Je me fais un lit / Dans tes cheveux / Couleur des jours absents /Tout ce qui émane / De toi / Respire des bulbes féeriques »
La dimension rythmique en tant que variable de création s’inscrit dans un cadre plutôt ordinaire, si l’on tient compte de la linéarité dans la poésie de Dumène. Cela n’atténue en aucun cas la force du langage. On comprend aussi que la poésie tend à s’écarter de plus en plus des normes. Ou du moins, elle est appelée à créer les règles qu’elle aura à enfreindre (ainsi de suite.) La première norme de la poésie serait pour le poète, selon bien des constats, de tout rendre mesurable à sa sensibilité et à son imagination.
« Le poème marche en nous / Comme des grains de sable / Oubliés au bord du littoral /On se le dit pour noyer / Ses souvenirs dans un verre / De tisane de Champagne… »
L’ivresse des saisons, c’est 75 poèmes. Chacun est porteur d’un souffle nouveau, particulier. Tous ensemble se côtoient pour revendiquer leur part de sensibilité dans un dire simplifié où le poète est celui qui doit recréer toutes les saisons. Dierf va plus loin. Un peu comme l’immense Rimbaud qui décelait une couleur dans chaque lettre de l’alphabet. Lui, il fait de la terre une maison, une maison de paroles, qu’il doit apprendre à habiter. C’est lui qui, dans le « bouillonnement cosmique » tient son verbe à la dimension de chaque corps pour capter dans chaque lueur du jour, dans chaque souvenir, la promesse d’un monde autre.
L’ivresse des Saisons – Les Engagés Éditions – Mai 2019 – Hollande