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Frère Franklin Armand, cette voix qui crie dans le désert
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Frère Franklin Armand, cette voix qui crie dans le désert

 

Par Pradel Henriquez

Depuis pratiquement un (1) an, Frère Franklin Armand est littéralement bloqué à Saintar, un peu plus loin que l’Arcahaie, dans sa communauté même, incapable de laisser la zone constamment coincée « en haut », par les gangs de Savien dans l’Artibonite, coincée  » en bas », par les Gangs de Canaan, coincée aussi via la mer, par les Gangs de Izo du Village de dieu, qui font de temps en temps du kidnapping en haute mer. On dirait des pêcheurs… pardon. On dirait des assassins-pêcheurs… Bref ! C’est tout ce qu’il faut en effet, pour inspirer un bel autre roman à l’auteur du  » vieil homme et la mer « , Ernst Hemingway…

 

Mais, lui, un personnage si vaste, universel, si fertile, si riche d’esprit et si multiple, il reste et demeure pourtant bel et bien coincé, le valeureux Frère Armand, depuis tantôt douze (12) mois, à Saintar. Non loin, on peut bien décider par un beau matin, de brûler la Côte des Arcadins, de tout brûler et de tout casser. Des hôtels de plage sont alors pillés, vandalisés, incendiés et humiliés.

 

Frère Armand est quelque part coincé non loin de là, enfoui essentiellement dans sa capacité de résilience qui est aussi celle de tout un peuple, sans oublier ses espérances de Chrétien et de visionnaire. Parce qu’en fait, par ailleurs, c’est tout le pays qui est pris en otage par les gangs. Et que toute l’aire métropolitaine de Port au Prince est particulièrement asphyxiée.

 

Comme on dit en créole :
Anwo pa moute.
Anba pa desann…
Plus personne ne bouge.
Que personne ne grouille…
Coincé donc et toujours coincé.

 

Otage de quelqu’un et de quelque chose que personne ne sait encore identifier, ni nommer, ni culpabiliser, ni châtier. La ville est devenue propriété exclusive de bandits divers qui s’en ivrent à coeur joie.

 

Frère Armand, dis-je, est encore coincé non loin des mornes, face à la mer. Il aurait pu passer par là. Hélas… Car, à sa sortie de Saintard, se faufiler par exemple dans les mornes d’en face et déboucher sur Mirebalais, notamment. Pas si évident…

 

Tout compte fait, s’il y arrive jusque-là et si, de Mirebalais, il voudrait emprunter un petit tour circulaire vers Port au Prince où se trouve depuis plusieurs années, le siège central de la Fraternité des Petits Frères et des Petites Soeurs de l’Incarnation (PFI/PSI), il buterait nécessairement cette fois sur les gangs du redoutable Lanmò cent (100) jours, à la Croix des Bouquets et tous ses / ces milieux avoisinants…

 

Il n’y a pas mieux en vérité comme stratégie d’étranglement urbain.
C’est réussi. N’est-ce pas ?

 

Tout compte fait, entretemps, je prends toujours du temps, moi, et tout le temps qu’il faut, pour écouter Frère Franklin Armand , fondateur de la Fraternité des Petits Frères et des Petites Soeurs de l’Incarnation (PFI/PSI), quand on s’appelle au téléphone. Il me faut du temps calme et patient.

 

Alors là, J’efface tout autour de moi et je l’écoute religieusement qui parle de ses projets, de sa vision, des communautés à nourrir et à développer, ainsi que des perspectives de la Fraternité des Petits Frères et des Petites Sœurs.

 

Frère Armand ne parle jamais de sa santé, ni de maladie. Il ne parle jamais de problème, mais toujours de solution. Frère Armand dans nos conversations régulières ne fait jamais non plus mention de politique politicienne, au sens où tout bon Haïtien, dans les rues comme dans les salons ne fait que réchigner au quotidien devant le sort qui l’attend et son impuissance autant face à la violence des gangs, autant, face à ce climat tantôt de terreur générale tantôt de terreur d’état.

 

Imaginons un instant que plongé collectivement dans ce merdier urbain de sauve- qui – peut devenu entretemps un véritable trou à crimes qu’est notre pays, Frère Franklin Armand né à Port au Prince, le 16 septembre 1947, du haut de ses 76 ans , tient encore aux enfants de rue livrés à eux-mêmes et auxquels il faut apprendre à jouer de la musique de chambre. Leur éducation, selon le fondateur religieux, c’est ce sens du civisme ou cette civilité que confère l’enseignement de l’art et de la musique.

 

Leur avenir, c’est d’abord et avant tout, cet instrument classique, le piano, la guitare, le violon, la clarinette etc…dont on leur inculque les techniques. Loin des barricades incendiaires à mille (1000 ) gourdes par individu et derrière lesquelles des politiciens traditionnels enferment nos enfants et nos jeunes tous les jours, ou encore, leur demande de camper pour revendiquer non, un avenir de rêve, dans un beau pays, mais plutôt, finalement ce pays de leur propre suicide.

 

Ce pays où ils tuent et se tuent.
Ce pays où ils cassent tout et ne s’ennuient pas.
Ce pays en panne de modèles , on dirait, qui file tragiquement entre nos doigts.
Ce pays qui comme dans l’œuvre théâtrale de Philippe Lerebours, s’en va vers la mer…

 

Et lui qui de Pandiassou près de Hinche, dans le Plateau central, à Jérémie dans la Grande Anse, ou à Léogane, sortie sud de la Capitale, qui prend en charge les tout petits-enfants depuis leur crèche, en passant par Petite Place Cazeau qui accueillait, il fut un temps, et qui accueille encore, l’administration centrale de la Fraternité des Petits Frères et des Petites Sœurs de l’Incarnation, comment s’imaginerait- il un instant que ce pays d’Haïti pour lequel il s’est battu depuis la fin du règne des Duvalier, soit près de 50 ans de lutte, et de projets de construction, comment imaginer que notre pays soit descendu si bas, en un tour de main ? Si bas oui, c’était prévisible. Certes. Mais cet effondrement presque total qui entre 2021 et 2023, donne de nos jours quasiment le vertige à toute une nation, nul ne pouvait le prévoir.

Comme tant d’autres, ici ou ailleurs, Frère Armand, n’est-il pas ce modèle qui aurait dû être étudié et appliqué tout de suite dans nos écoles et universités ? N’est-il pas ce modèle dont les médias auraient pu se mettre à vulgariser le rêve, la vision, les projets, les conseils ?

 

N’est-il pas notre trésor national ?

Tout ceci pour dire que Frère Armand et sa Fraternité, continuent imperturbables, de voir l’avenir, hors du gouffre, et de susciter l’espoir. Pour eux, le Chrétien ne se plaint pas. Il agit. Par la foi… Il apporte au monde une raison d’espérer.

 

Récemment, après plusieurs tentatives afin de bouger de la localité de Saintar et de se retirer de son enfermement, tout coincé qu’il est dans sa fraternité au carrefour périlleux à la fois, du Bas Artibonite, de l’Ouest, de la plaine de l’Arcahaie, de la montagne et de la mer, Frère Armand décide à l’instar du roi Midas de l’Antiquité gréco-romaine, de transformer ses contraintes en succès, pour se consacrer plutôt, tant qu’il y est et qu’il y reste, à l’ensemble de ses projets de développement communautaire pour Saintar, puis, en donnant libre cours à l’une de ses plus belles passions consistant en la construction d’une merveilleuse chapelle dans la localité de Saintar, dédiée à Charles de Foucauld, missionnaire français du début du 20e siècle, canonisé l’an dernier par le Vatican, et qui avait consacré toute sa vie à servir Dieu et les plus démunis, vie qui est au cœur même de toute l’œuvre humaine et chrétienne de Frère Armand, marquée par une profonde spiritualité et un adorable penchant pour les pauvres nous dit celui-ci, afin de justifier son projet de chapelle à Saintar, non loin du chaos bien évidemment .
Mais il faut toutefois rappeler que c’est en fait un projet de chapelle inscrit avant toute chose, dans une culture haïtienne connue paradoxalement comme une culture de l’hospitalité, de la bienséance et aussi, de la compassion.

Avril 2023

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