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Les PétroChallengers, la Génération de la Fronde
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Les PétroChallengers, la Génération de la Fronde

 

Par Mérès Weche

Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Cependant, il est possible d’établir des comparaisons entre certaines productions littéraires, en fonction des conjonctures et contextes politiques dans lesquelles elles ont évolué à travers le temps.

En effet, il y eut en 1895, sous le gouvernement de Florvil Hyppolite, une revue littéraire nommée « La Ronde », fondée par Pétion Jérôme qui eut deux collaborateurs de taille։ Georges Sylvain et Etzer Vilaire, et d’autres partenaires qui formaient avec eux un cénacle qui avait pour nom « La Génération de la Ronde » caractérisée par deux catégories de créateurs, les poètes et les romanciers.

La situation sociopolitique d’alors constituait une vraie calamité pour le peuple haïtien dans son ensemble, plus particulièrement la jeunesse, aux prises à des difficultés majeures dans le contexte de dévaluation de la monnaie nationale, la gourde, appelée « zorèy bourik », pour n’avoir eu aucune valeur par rapport au peso dominicain et d’autres devises étrangères, en matière déchanges commerciaux. Ainsi, aucune possibilité d’épanouissement n’était offerte aux Jeunes qui sombraient dans le plus noir désespoir. Et cela, depuis le gouvernement de Sylvain Salnave, jusqu’au régime de Florvil Hyppolite au cours duquel naquit le cercle littéraire « La Génération de la Ronde ». Cette période fut caractérisée par une telle déliquescence étatique qu’une suite de présidents éphémères, allant de Cincinatus Leconte à Davilmar Théodore, conduisirent le pays à l’occupation américaine qui allait durer dix-neuf ans, de 1915 à 1934.

La littérature comme témoin de nos malheurs engendra un œuvre poétique majeure։ « Les Dix Hommes Noirs » d’Etzer Vilaire, baptisée par Seymour Pradel de « Constat d’une génération ». Tous les secteurs vitaux de la vie nationale étaient inclus dans ce long poème qui mettait à nu tous nos maux de peuple condamné à payer le lourd tribut des fossoyeurs de la nation.

Ce texte d’Etzer Vilaire, qui ne se passe pas d’actualité, met en scène dix jeunes gens – aujourd’hui, on pourrait y inclure des jeunes filles – qui se réunissent dans un manoir pour se suicider par découragement, après avoir partagé un dernier repas. Le moment venu, neuf d’entre-eux ont mis successivement leur triste projet à exécution, sauf le dixième, Franck, symbole de la foi religieuse de l’auteur, pasteur de son état, qui s’accroche encore à l’espérance chrétienne.

Aujourd’hui que la foi religieuse de la jeunesse haïtienne est mise à rude épreuve, comment un poète ou un écrivain envisagerait-il la fin de ce récit, si ce n’est que par l’anéantissement de toute cette dizaine de désespérés dont nombre d’entre -eux bravent la mer sur de frêles esquifs, prennent des risques énormes sous les barbelés dominicains, quand ce n’est pas dans les pampas de l’Amérique du Sud, en quête de destinations plus clémentes. Qu’on se rappelle le drame de ce jeune, répondant au nom de Sony qui, revenu du Chili, complètement désemparé, s’était pendu dans une latrine, à la grande stupéfaction de sa mère qui en avait fait le macabre constat. Après avoir vendu tous ses biens pour entreprendre ce périple et revenir sans un sou, il ne lui restait que l’éternité comme voyage. Il pensait ainsi n’avoir plus de souci quotidien pour le boire et le manger devenu un luxe pour le petit peuple. Il ne voulait plus constater la richesse insolente d’une poignée de nantis, pendant que la grande majorité patauge dans la boue et crève de faim.

Les dix jeunes personnalités de 2018 triées sur le volet par Mag Haïti représentent l’envers des Dix Hommes Noirs d’Etzer Vilaire, et ce n’est qu’une fraction de ces dizaines de milliers de talentueux jeunes gens et jeunes filles « qui gouvernent la rosée » – pour emprunter une expression de Nanie Piou dans un clin-d ’œil à Jacques Roumain – , mais qui n’auront jamais un lendemain meilleur, si la donne ne change pas.

À l’heure des Pétro challengers, il se crée une nouvelle forme de poésie, celle qui s’écrit avec le verbe haut, les poings, les pieds et les cris de révolte, pour dire non à l’inacceptable, sur le macadam pris comme support d’écriture.

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