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Littérature – La mort de l’homme
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Littérature – La mort de l’homme

Par Mérès Weche

Extrait de  »Jérémie, 50 ans de Souvenirs ». Revu et corrigé.

Cette nuit-là, Jérémie vrombissait des méringues lascives à Versailles-Club, pour paraphraser Jacqueline Beaugé dans  »Climats en marche ». Viendra plus tard :  » Le temps des cigales  » de René Philoctète. » Il est fou, celui-là qui ose nous traiter de mauvais oiseaux ‘‘, vocifère le Saint-Ange, qui avait déjà ingurgité plus d’un verre, au point d’avoir eu un ver dans le nez au tout début de la soirée. Panm-Panm ‼ , et ce fut un homme qui tomba. Cet honnête citoyen qui commit l’erreur de complimenter Donzelle, l’accompagnatrice occasionnelle du Saint-Ange, pour sa belle robe cramoisie de ce soir-là. Rouge ‼ Rouge‼, cette robe.

Ce même fou de Philoctète écrivait, quelques années auparavant  » Un homme est mort, rue des Remparts  ». C’était le temps où chacun pleurait la mort de l’autre, car on savait d’avance pour qui sonnait le glas. Cependant, ce soir-là, on n’avait nul soupçon qu’un homme allait être froidement abattu sur la piste de danse à Versailles, l’unique rempart de la poésie et de la peinture dans la ville, par ces temps de triste mélopée.

Le tafia et le whisky coulaient à gogo sur fond de cette murale peinte par Vernet Caze et que j’eus l’honneur de retaper, à mon âge, pour les bons offices d’Antoine Jean qui me liquidait à qui mieux-mieux mes cartes de Noël au Soleil-Levant. Élie Lestage et Antoine Roumer m’en demandaient autant ; mon petit commerce d’art marchait à merveille. J’amassais une petite fortune en gourdes, pour un gars de mon âge.

La poésie de cette musique lascive n’était point subversive, mais il allait y avoir mort d’homme sur la piste, juste en face de cette murale, témoin muet des râles de cet homme frappé à mort par le Saint-Ange. On dirait  »Visage d’Ange » dans Monsieur le Président d’Asturias. Ce tueur froid, d’aucuns le croient irresponsable, parce qu’il est investi, en haut lieu, de pleins pouvoirs pour faire et défaire à Jérémie.

Revenons-en au whisky et au tafia qui ont la vertu d’allumer le feu dans la tête ; sont-ce ces deux boissons les responsables de cette subite colère de l’Ange ou bien cette chaleur du pouvoir qui lui monte couramment dans la caboche ?

L’Ange et Donzelle sont accolés en demi-carreau sur la piste, comme deux lames à faces parallèles, tranchantes, dans une géométrie sans espace. Relativement à ces deux  »physiques », cela s’appelait aussi, dans le temps, optique et électricité; à la fois ce qu’ils donnaient à voir et à sentir dans l’intensité de leur action. Visiblement, ce chef angélique n’éprouvait aucun remords d’avoir tué cet homme en pleine piste de danse. Donzelle aussi, d’ailleurs. En fait, personne d’autre n’avait le goût de danser jusqu’à la fin ce très long pot-pourri de Jérémia, justement commandé par l’Ange à qui appartenait presque cet orchestre. Mais, qui oserait quitter la piste, dans le but de mettre plus en évidence ce sensualisme cadavérique ? …

Le lendemain, pendant des heures, il me restait à l’esprit le souvenir de ce moment tragique où l’Ange avait enlevé la vie à ce brave homme et trouvé le courage de danser, s’il fallait appeler  »danser » ce qui se passait crûment sur la piste. Ce ne fut pas ce genre de signe de piste que nous enseignait le CG Maitre Cazeau dans le scoutisme.

En quittant la ville quelques années plus tard, je pensais constamment à ce tableau. Non pas à la murale, initialement peinte par Vernet Caze, et que j’ai eu le privilège de rafraichir pour Antoine Jean, mais bien à cette scène horrible de la mort gratuite d’un homme, suivie de cette danse orgiaque.

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