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Loin d’une critique musicologique, nous ne faisons là qu’une mise en question du texte original « Zanmi femme » de Méridionale des Cayes interprété par Zafèm.
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Loin d’une critique musicologique, nous ne faisons là qu’une mise en question du texte original « Zanmi femme » de Méridionale des Cayes interprété par Zafèm.

Par Jonathan ALEXANDRE

La sortie spectaculaire de l’album « Lalin ak Solèy/ LAS » de la bande musicale à Céide et Cangé, Zafèm, cartonne à mille feux sur tous les supports audio et réseaux sociaux, en partie sur YouTube. Cette plateforme a vu le lancement de l’album le 5 mai dernier à minuit, et on atteint déjà des milliers de vues par titre. Vous pouvez savourer, en 16 titres les uns mieux arrangés que les autres, les délices musicales de ce savoir-faire exemplaire d’un Maestro – s’il est permis de l’appeler par ce titre, tant qu’il est d’un talent succulent. Si Le plein, Abracadabra, Dyaman nan bidonvil, Dlo Dous sont les plus écoutés et par conséquent les plus appréciés, il faut attendre le dernier track de la liste pour trouver de quoi mettre sous critique. Et nous parlons là de cette réadaptation du texte musical de la bande Méridionale des Cayes intitulé « zanmi femme », sortie jadis en 1975. Et à l’heure où nous rédigeons ce texte, elle obtient environ 163 k vues et 3 k like sur YouTube. Dans un moment où les questions relatives à l’égalité homme-femme interpellent plus d’un et où les associations des femmes s’immiscent çà et là les institutions de la vie, cette chanson vieille de 48 ans vient mettre le feu à la poudre. Dans ce contexte actuel, on se demande : quel l’impact aura cette chanson sur les générations (ancienne, qui avait déjà oublié ce tube ; nouvelle qui se trouve confronter à une culture de tolérance des notions d’égalité) ? Quel impact aura-t-elle sur les associations féminines ?

Nous nous proposons pour s’y prendre, de relever dans cette chanson les stéréotypes sociaux sur les femmes, et de les commenter en vue de mieux apprécier la portée textuelle de ce tube. Entendons par stéréotype « un jugement qualitatif vis-à-vis d’une personne, d’un objet ou d’un concept en dehors de toute expérience personnelle».

Pour débuter ce travail, par rapport à notre premier objectif, nous pouvons noter dans cette chanson ces stéréotypes sociaux sur les femmes :

« Bèl fanm ti sèvèl ; zanmi fanm konn mete w dozado ak mari w ; se fasil pou fanm gate fanm ; fanm ak fanm se gwo danje ; youn nap rakonte lòt defo mari yo genyen ; jwèt la vanse vire makrèl ; tèt kole fanm gen gwo danje ladan ; fanm met patalon kou gason… ».

L’ensemble de ces stéréotypes doit être situé dans un rapport temporel, où dans les années 70, l’idée que l’on se fait de la femme se diffère de la conception (moderne) de notre temps, actualisée après l’éclatement du mouvement féminisme dans la société haïtienne. Il s’agit, pour l’interprétation du texte, de concevoir la femme comme un être dénoué de bonne intention quand elle se retrouve en groupe homogène : « fanm ak fanm se gwo danje ». Il faut voir, ici, un danger pour la gent masculine, qui vraisemblablement dans les groupes de femmes fait objet de discussion et centre des intentions les plus macabres : « youn ap rakonte lòt defo mari yo genyen ». Il en résulte en ce sens que, l’homogénéité féminine peut avoir des conséquences sur la dimension sexuelle des unes : « jwèt la vanse vire makrèl ». Cette partie du texte met à nu le sexisme qui empêtre la société de l’époque.

La dimension culturelle qui entrave la conception de l’auteur s’avère très pertinente durant cette période. Car, à l’instar de Maurice Sixto dans « Tikam » qui disait : « ou Pa konnen bèl fanm se bèl malè », l’auteur commence son texte avec une expression des plus discriminantes : « bèl fanm ti sèvèl ». Il faut voir en cette expression une forme de banalisation de la beauté féminine, qui pourtant semble être convoitée par tous les hommes. L’homme haïtien, comme si c’était par héritage (voir David, P. (2015). Héritage coloniale en Haïti. C3), est obsédé par la beauté féminine, comme c’était le cas des colons, ou même des grands blancs, qui ont su inventer des appellations si flatteuses pour caractériser les multitudes beautés de la femme dans la colonie de Saint Domingue (Marabou, nègès kreyòl, milatrès…).

A l’heure où les associations féminines font tache d’huile dans la société haïtienne pour défendre leur droit – déjà avec le droit de vote de la femme en 1950, la création du ministère des droits de la femme en 1994, l’attestation des associations de femmes par le ministère des affaires sociales et du travail, l’actualisation de ce texte musical de l’orchestre Méridional des Cayes remet en question le droit d’association des femmes au sein de notre société. Alors, à l’instar de Margareth Mead (1901-1978), faut-il croire qu’il y a un complot culturel derrière les relations humaines ?

Doit-on, comme le laisse comprendre ce texte, éviter que les femmes s’associent : « pa kite yo mele » ? Et que les hommes « blòdè » se doivent de se défendre « fò n mete kran pou n kapab sipòte » contre l’égalité de l’homme et de la femme « fanm mete pantalon kon gason » et éventuellement éviter un retournement de situation où la femme pourrait avoir le strict contrôle des affaires sociales « lè n gade nou wè se yo kap jere » ? La gent masculine est certaine fois mangeur d’énergie. A trop vouloir dominer l’autre, il finit par se faire des marques autoritaires, dictatoriales, maniaques…qui le poussent vers la jalousie.

Loin de laisser croire en l’influence de l’esprit de dominance qui a toujours caractérisé les sociétés patriarcales, l’auteur s’extirpe de toute forme de jalousie « ou pwal di m jalou, se pa sa li ye non ». La jalousie étant pour certains auteurs l’expression égoïsme de l’appropriation singulière d’une personne par un autre. La jalousie est toujours le fantôme d’une faiblesse morale et d’une grande pauvreté affective (Pierre, D., 1960). Il est clair que l’objet aimé ne doit pas penser par lui-même, au risque d’échapper à l’emprise infernale de l’amour «se pou ou, se ak ou pou yo fè lòbèy la ». Alors entendons par jalousie une forme complexe d’autoritarisme qui conduit la personne vers une sorte de déséquilibre qui se manifeste par des obsessions, des idées fixes, des décharges impulsives et passionnelles, et le tout envers et contre la personne aimée. Mais toutefois, pour l’auteur, c’est à défaut de perdre le combat « depi ou damou ou pa la, depi ou damou ou kaba » qu’il faut les contrôler :« pa kite yo mele »

Faut-il admettre, par euphémisme, que « Egal Ego » serait l’antipode qui ramènerait un équilibre estompé ? on n’en est pas trop sur… toutefois, on continue à savourer l’album au prix de la passion qu’il apporte et à suivre la vague que ce faste apporte aux plus fines consciences. Entretemps, je suis en immersion dans « Dlo dous« , qui me rappelle les symphonies de « Lajan sere« . Pour les discussions, je tiens à remercier Urbain, Dieuseul, Jefferson et Daniel, Katia, Dovensky et Samuel.

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