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Quand la bouche du poète, à être un anus ordinaire, se fait lieu d’engagement !
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Quand la bouche du poète, à être un anus ordinaire, se fait lieu d’engagement !

Par Adlyne Bonhomme

 

« La bouche du poète n’est pas un anus ordinaire suivi de En plein cœur du Je » est le titre du dernier recueil de poèmes de Ar Guens Jean Mary paru cet été aux éditions Floraison à Port-au-Prince.

Avec le parfum qui émerge du titre et le côté plastique de la quatrième de couverture, ce recueil d’une quarantaine de pages devra certainement faire brûler d’un lourd désir d’entrer dans le secret des textes qui le constituent.

Ar Guens Jean Mary est un passionné du verbe, qui bêche la terre du poème avec tendresse et n’écrit toujours que parce que secoué par l’urgence, à ne rien pouvoir faire contre, de nommer le réel. À ce titre, la parole chez lui est toujours proposition d’une vérité.

« ce soir là

moi, j’étais assis

derrière les bureaux de mon chômage »

 

Depuis son recueil « Nil noir de la ville blanche » paru en 2017 aux éditions « A TOI » en Haïti en effet, en passant par « A la poésie blessée par balle » en 2019 chez Pont de l’Europe en France jusqu’à ce dernier titre, l’auteur poursuit une œuvre unie, cohérente, loin des métamorphoses et engagée sur divers plans: politique, esthétique, expérimentation, etc. Et qui lui ouvre petit à petit le chemin vers le plateau des auteurs importants de poésie.

Parlant d’engagement dans la création poétique d’Ar Guens Jean Mary, voici une première adresse du poète au trente-troisième poème du recueil. C’est un véritable coup de gueule qui y est donné de lire :

« de mon Sud

_pour mieux te voir_

Je fabrique une fenêtre

pour mes yeux cassés »

 

L’auteur ne nous aura pas appris grand-chose sur l’improbable (dont nous sommes conscients) du passage vers une terre habitable. Ni sur le rêve mis à mal de traverser le vertige qui, lui non plus, ne sait pas traverser. Mais il nous l’aura rappelé. Autrement, peut-être. A coup d’images, jusqu’à lui prêter l’aspect d’autres choses.

Le poète Lionel Ray s’interroge : « que peuvent-ils les mots sur tant d’abime » ? Rien contre une Kalachnikov, aurait répondu la poétesse Vénus Khoury Ghata. Mais tous les deux doivent s’entendre sur le fait que le poète sait les craquer, ne serait-ce que pour leur faire dire : « tiens, elle est là, la plaie :

« les murs nous couchent ensemble

bien avant que les fenêtres s’ouvrent sur la strangulation

des paysages nés de la dernière pluie

on avait déjà confié nos cœurs pleins de sable

à un siècle mal à dire plage »

 

Dans ce geste à montrer la plaie, à dire cette traversée contrariée, l’œuvre de Ar Guens s’inscrit d’emblée en effet dans un acte d’amour. D’amour de soi à soi, puisque questionnant le lieu précis de vie du poète. D’amour de soi à l’autre <<la poésie n’est-elle pas l’un des ferments de l’altérité ?>>, l’œuvre saisissant la condition de l’existence d’une manière globale.

« aux environs d’une maison déjà morte

la parole des sans-abris résonne

contre la durée du sol

jusqu’à la chute des dents cassées sur des pierres »

 

« devant les barricades qui guettent ma liberté

je brandirai toujours l’expression

de mon crachat rebelle »

 

Ar Guens Jean Mary, en plus d’être poète, est slameur. Il a eu le deuxième prix de la quinzième édition de Chanson sans frontière cette année.

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