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Rencontre avec Kettly P. Mars, Présidente du Centre Pen Haïti
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Rencontre avec Kettly P. Mars, Présidente du Centre Pen Haïti

Par Valéry Gérome

Poétesse et romancière, Kettly Mars est la troisième présidente du Centre Pen Haïti. Depuis 2018, l’auteur de Saisons Sauvages dirige le Centre Pen et accueille des auteurs d’Haïti et d’ailleurs afin de valoriser et promouvoir la littérature classique et contemporaine. Dans cet entretien, l’écrivaine présente le Centre Pen Haïti, et aussi son amour pour le travail qu’elle y effectue.

Sibelle Haïti: Parlez-nous du Centre Pen Haïti aujourd’hui ?

Kettly Mars : Le Centre Pen Haïti fait partie d’un réseau d’environ 140 Centres Pen à travers le monde. Chaque Centre est autonome administrativement et financièrement, tout en étant relié au Pen International dont le siège est à Londres, en Angleterre. Le Pen International qui fêtera ses 100 ans d’existence en 2021 a été créé à Londres en 1921 par l’écrivaine britannique Catherine Amy Dawson Scott pour promouvoir la littérature et la coopération intellectuelle entre les écrivains du monde. Son actuelle présidente est Jennifer Clément, écrivaine américano-mexicaine, première femme à présider le Pen International depuis sa fondation.

C’est en 2008 que le Centre Pen Haïti a vu le jour, à l’initiative du géologue/écrivain Georges Anglade qui en fut le premier président. L’écrivain Jean-Euphèle Milcé lui a succédé, suite à sa mort tragique en 2010. Je suis donc, depuis février 2018, la troisième présidente du Centre Pen Haïti, encadrée d’un comité exécutif composé des écrivains Evains Wèche comme secrétaire général et Verby Dabel comme Trésorier. Depuis le début de l’année 2019, le consultant Philippe Bon s’est joint à notre petite équipe pour nous aider à mettre sur pied nos projets.

Le Centre Pen Haïti souscrit aux idéaux de Pen International et de tous les Centres Pen qui sont la défense de la liberté d’expression, la promotion de la littérature, l’amitié entre les écrivains. Mis à part ce postulat commun, chaque Centre fait le choix de ses interventions dans son milieu, en fonction des particularités, spécificités et besoins de celui-ci. Le réseau Pen est énorme et Pen International à travers ses différentes entités maintient le lien avec tous les Centres.

Vu la grande place occupée traditionnellement par la littérature dans la culture haïtienne, le Centre Pen Haïti s’est toujours donné pour mission d’aider à l’encadrement et à la formation des auteurs, jeunes et moins jeunes, afin de leur permettre de progresser dans la voie de la création littéraire.

S.H. : Que représente ce nouveau poste de Présidente dans votre carrière d’écrivain ?

K.M. : C’est une expérience extrêmement enrichissante pour moi. En Juillet 2018, j’ai eu l’opportunité de participer à Buenos-Aires à une rencontre des présidentes des Centre Pen d’Amérique Latine et de la Caraïbe. Cette participation m’a permis d’avoir un sentiment d’appartenance au réseau et de partager avec les autres membres des 11 pays représentés nos expériences, nos projets,nos réalisations et les difficultés que nous confrontons dans nos pays respectifs aux points de vue économiques, organisationnels et surtout politiques (Venezuela, Nicaragua, Colombie etc.)

Cette responsabilité me permet aussi de me mettre au service de mon pays et de sa littérature, d’apprendre les facettes de la vie associative en Haïti que j’ignorais totalement. Une expérience intéressante et stimulante, même si la dureté du milieu peut occasionner des moments de découragement. Mais c’est un apprentissage gratifiant à bien des points de vue et qui m’apprend la persévérance et la confiance en moi. Je suis aussi heureuse de constater la confiance spontanée que certains interlocuteurs me manifestent, confiance basée sur mon statut d’écrivaine indépendante et mon travail dans le milieudepuis une trentaine d’années.

S.H. : Qu’offre le Centre Pen Haïti aujourd’hui?

K.M. : Depuis ma présidence, la nouvelle équipe du Centre Pen travaille à la mise en place de structures pouvant offrir des services aux adhérents actuels et futurs du Centre, autour de trois axes prioritaires :
1) Offrir des services de nature professionnelle aux auteurs (centre de ressources auteurs, éditeurs, producteurs et réalisateurs, ateliers d’écriture et de lecture, formation professionnelle, veille économique et sociale, assistance sociale, information juridique.)
2) Favoriser l’accueil d’auteurs en résidence
3) Valoriser la littérature haïtienne classique et contemporaine et encourager la médiation littéraire.
Notre objectif global est donc de pallier le manque de lieux dont disposent les écrivains (en herbe ou affirmés) pour trouver de la documentation spécifique à leurs besoins, pour s’informer, se cultiver et cultiver les échanges interpersonnels et la fraternité/sororité entre écrivain.e.s.

C’est un programme ambitieux qui demande beaucoup d’investissement matériel et d’effort pour mettre des gens de mêmes intérêts ensemble, mais que nous construisons avec patience et persévérance car nous sommes convaincus de sa nécessité.

A notre nouveau local de Delmas 75 (11 rue Levasseur) nous sommes en train d’établir un fonds documentaire spécialisé pour écrivain.e.s. et pour le public interessé aux métiers du livre et de l’écrit.

S.H. : Quels sont les nouveaux projets du Centre Pen Haïti ?

K.M. : Le nouveau projet est donc celui que je viens de décrire dans le point précédent. A part cela, le Centre organise ponctuellement des activités et met aussi son local à la disposition des organisations culturelles travaillant dans le secteur littéraire. Pendant ces vacances et jusqu’au 30 août, nous tenons deux fois par semaine des ateliers de lecture et de cinéma pour les petits et les jeunes de notre quartier.

Pour le mois de septembre (13 et 14 septembre), nous sommes heureux d’accueillir Lisette Lombé, une puissante slameuse et poétesse Belgo-Congolaise qui animera au Centre Pen Haiti un atelier d’écriture et de slam sur deux jours destiné à des jeunes filles et jeunes femmes. Ce programme se fera en collaboration avec le CEC de Belgique. Lisette Lombé, sera par ailleurs présente la même semaine au festival Transe poétique de l’organisation Loque urbaine.

Nous avons aussi l’énorme plaisir d’organiser à la fin du mois d’octobre une rencontre entre écrivaines de la République Dominicaine et écrivaines de la République d’Haïti intitulée « Sororité ! Ecrivaines d’une même île – Sororidad ! Escritoras de une solaisla.»

Le Centre Pen et ses partenaires fourniront bientôt plus de détails sur ce programme ayant pour but de favoriser et développer des échanges culturels et d’amitié avec la République Dominicaine par le biais des femmes qui écrivent des deux côtés de l’ile. Il y a une nouvelle génération de dominicaines qui écrivent et s’intéressent aux problématiques de genre, de race, d’identité et souhaitent établir des liens avec leurs consœurs haïtiennes et, plus largement, avec leurs voisins d’Hispaniola.

Le Centre Pen Haïti se propose de faciliter ces échanges.

Sibelle Haïti : Quelle relation entretient le Centre Pen Haïti avec la presse haïtienne ?

Kettly Mars : Comme je l’ai mentionné au début de cet entretien, l’un des postulats du Centre Pen Haïti et de tous les Centre Pen est la promotion et la défense de la liberté d’expression. Le Pen International établit une vigilance permanente sur les cas d’écrivains et de journaliste à travers le monde qui sont persécutés, abusés physiquement, emprisonnés ou forcés à l’exil à cause de leurs opinions ou des informations qu’ils divulguent. Le Pen International est une institution qui peut peser de son poids sur l’opinion internationale et les décideurs du monde. Feu Toni Morrisson était la vice-présidente de Pen International depuis 2006.

Nous savons qu’il existe plusieurs associations de journalistes au pays. Nos souhaits et nos efforts tendent à faire du Centre Pen un lieu où les journalistes haïtiens, toutes associations confondues, peuvent trouver un accompagnement social et moral en cas de nécessité. Nous voulons aussi qu’ils sachent que le Centre Pen Haïti et le Pen International peuvent contribuer à une grande échelle à faire connaitre, le cas échéant, les difficultés et les dangers qu’ils confrontent dans l’exercice de leur profession.

Nous profitons de l’opportunité de cet entretien pour, encore une fois, dénoncer avec la plus grande rigueur les intimidations, abus physiques et moraux que subissent certains travailleurs de la presse en Haïti. La liberté d’expression et la recherche de la vérité que défendent les journalistes attachés à l’éthique de leur profession est le dernier rempart contre l’arbitraire politique qui sévit en Haïti aujourd’hui.

Nous devons tous supportercette liberté d’expression, dénoncer toutes les dérives inacceptables et condamnables et exiger sans nous lasser des autorités à la tête du pays la reddition de comptes dans les cas de disparitions et d’assassinats de journalistes qui portent chaque jour nos voix et nos questionnements.

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