Now Reading:
«Sacrifice du calvaire», hommage à la cérémonie du Bois Caïman
Full Article 11 minutes read

«Sacrifice du calvaire», hommage à la cérémonie du Bois Caïman

Par Orso Antonio DORELUS

À l’occasion de la 6e édition du Ghetto biennale organisé par Leah Gordon et André Eugène à la grand-rue de Port-au-Prince, le plasticien Jean Robert Alexis expose son œuvre diptyque intitulée « Sacrifice du Calvaire», du 6 au 20 décembre 2019. À travers cette dernière, il ne refoule pas le réalisme pour désymboliser le tableau puisqu’il veut que la délectation doive se faire sans le détour de la réflexion, pour une écriture picturale ayant une finalité pratique. Son œuvre rend disponible l’identification du monde et de l’homme à ce qui en est figuré au moment même qu’il les figure et devienne le miroir de celui ou celle qui s’y adonne pour accoucher l’effet qu’il escompte chez cette personne.

Le vivant humain est en perpétuel hiatus. A chaque fois, pour pallier à des situations qui lui dépassent, sa volonté de vivre l’anime pour trouver des formules spécifiques pour lui servir de décharges ou qui sont capables d’assoupir son besoin. Que ce soit le langage qui lui a été transmis par ses parents ou que ce soit l’art dans les rites figuratifs. Ainsi, face à la dégénérescence de la société haïtienne, l’artiste Jean Robert Alexis à travers son pinceau plonge dans l’histoire du pays par le biais de l’Ekphrasis pour mimer la cérémonie du bois Caïman et essayer de questionner sa valeur et son résultat dans la société haïtienne. Ce geste artistique fait de lui un peintre d’histoire. Sans aucune prétention d’être un historien, il travaille avec son sens pour rédiger la séquence de cette période d’histoire plastiquement. Il est celui qui trahi la convenance rhétorique des images pour une combinaison inédites. Il érige des réalités à partir des substrats oniriques et légendaires pour créer une beauté artistique. Ordinairement Jean Robert Alexis s’identifie à la technique rocailleuse et grotesque ou encore de l’ironie du corps.

Par contre, dans ce diptyque construit et séparé à la verticale, il est un peu tronqué dans sa technique de figuration et entend expérimenter la démarche sérielle. Dans cette œuvre, en haut, Alexis présente trois personnages; deux garçons et une femme. Le personnage au milieu avec ses deux bras ouvert tient une épée dans sa main droite. Ses jambes écartées tout comme ses bras. Il porte une culotte rouge et sur sa tête un foulard de la même couleur. A sa gauche un personnage avec un poignard. En arrière-plan ou dans son dos on retrouve la femme, elle porte également un foulard rouge. La disposition de ces personnages dans le cadre fait penser qu’ils sont en train d’exécuter une danse. Au milieu ou devant le personnage principal, il y a un feu. Trois vèvès sont représentés et une cruche. En bas, l’artiste peint un symbole de la monnaie américaine; le dollar à trois reprises et comportent des écritures comme la corruption, l’exclusion sociale, bandit, immoralité, révolution, criminalité, politique, etc.

Alexis aime s’inspirer du passé des peuples ou encore de leur mythologie. Ici, ce qu’il veut bien montrer c’est la cérémonie du bois Caïman qui est considérée comme le « mythe » fondateur de la nation haïtienne avec les trois principaux personnages qui sont Duty Boukman, Fatima et Jean Baptiste Vixamar. Les vèvès(Ogou Ferraille, Erzulie Dantor et Damballah) évoquent une cérémonie de vodou. Ceux-ci qui sont des pistes d’atterrissage pour les loas ou les esprits. Quoique pour certains cette cérémonie est un mythe, pour d’autres elle avait été bel et bien organisée. Ce qui est sûr celle-ci participe dans la construction de l’imaginaire haïtien. En ce sens que cette cérémonie devait réunir les noirs pour une cause commune; renverser le système esclavagiste. Par contraste, le peintre fait utilisation de la monnaie américaine, le symbole du système capitalise où le sentiment du bonheur commun est remplacé par la cupidité, l’individualiste et des descriptions qui relatent et résument l’échec de l’institution politique haïtienne. Cette articulation appert à l’évidence que l’homme haïtien est à contre-courant des valeurs de cette cérémonie.

La beauté artistique de son œuvre

Comment saisir la vérité artistique du peintre dans l’esthétisation du réel par la culture? Autrement dit, existe-il un dialogue réel dans cette composition si toutefois l’art se construit sur la forme dialogique comme l’acte de la parole? cette composition picturale s’inscrit-elle dans une démarche de vérité hédonique dans le sens de production de soi et d’autrui comme réalité de jouissance commune? Son œuvre porte à réfléchir dans le contexte du système capitaliste avancé. D’ailleurs le peintre soutient que « Je peins pour contribuer au changement du monde, de mon pays. Mes iconographies rendent visibles mes cauchemars et mes inquiétudes face à la dégénérescence de ce monde, de mon pays.» En effet, son lexique pictural se repose sur des êtres mythologiques ou primitifs. Autrement dit ce qui fait la force de son œuvre est sa capacité à mettre en marche certaines mythologies, comme le vodou et celle des Taïnos pour construire son programme artistique. Cette imagination productrice qui engendre son œuvre atteste le rapport au réel et une réalité qui se rend heureux dans l’acte de la prosopopée comme l’enfant qui reproduit la voix de la mère dans le babil et la projection de cette voix dans les choses pour pouvoir les voir.

En d’autres termes, son œuvre est cette traduction de ce dialogue réel dans le monde des cinq (5) sens en projetant la prosopopée à l’aide de l’organe de la distance, de l’organe régulateur, des membres locomoteurs, manipulateurs dans les choses. Ce qui est intéressant ce mécanisme artistique de Alexis traduit cette jouissance d’un accord de vérité sur ce qu’il dit qu’il produit et que le contemplateur peut voir dans son œuvre comme matériaux. Cette démarche animiste ou figurative du peintre pour arriver à la séquence sérielle est comme un cri pour dire l’urgence dans sa dimension de faiseur de mondes. Ces trois symboles évoquent l’idée du simulacre deleuzien, la multiplication de l’objet pour caricaturer le marché capitaliste. Autrement dit l’artiste entend critiquer et ironiser ce système qui favorise le matériel sur l’humain, l’argent sur les valeurs humaines. Cette énonciation picturale se mélange entre le primitivisme et la modernité ou le pop art qui véhicule une pensée propre au temps actuel. Il essaie de donner l’homme haïtien sa place dans l’univers. Alexis identifie les maux de sa société et profite de l’abstention de celle-ci pour exprimer ses intentions communes. Et ce que la société le lui rend bien en faisant abstraction de sa capacité de parole pour lui laisser cette tâche comme il a été question pour l’homme primitif de se faire auditeurs des dieux, les prêtres et les chamanes en couplant la structure phono-auditive pour se faire contemplateur de son prisme esthétique.

Sa narration picturale

Cette figuration n’est pas l’esthétique de la belle âme pour faire jouir dans une démarche d’exotisme ou pittoresque mais comme la seule conscience qui doit s’imposer et amplifier toute autre action et désir de la vie nationale pour un changement concret. C’est-à-dire Alexis ne refoule pas le réalisme pour désymboliser le tableau puisqu’il veut que la délectation doive se faire sans le détour de la réflexion pour une écriture picturale ayant une finalité pratique. Son œuvre rend disponible l’identification du monde et de l’homme à ce qui en est figuré au moment même qu’il les figure et devienne le miroir de celui ou celle qui s’y adonne pour faire l’effet qu’il escompte chez cette personne. Jean Robert Alexis n’arrête pas de figurer du sens.

Cette fixation figurative qui consiste à articuler les symbole et les mots c’est pour mieux cerner son but qui est d’atteindre la compréhension du regardeur pour une esthétique critique via son imaginaire picturale tel qu’il est programmé dans l’œuvre. Autrement dit cette relation entre mythe et écriture ou tableau met l’artiste en situation pour penser et pour intégrer un souvenir historique dans les narrations ayant trait aux fondements ou aux origines dans son programme pictural. Alexis a le sens de l’histoire, du temps. Non seulement il a la capacité de présenter ce qui a été, il a la capacité aussi de présenter ce qui est et ce qui sera suivant une suite logique dans une forme d’activité perceptive qui prend en compte l’émotion du temps dans toute sa musicalité, ses couleurs et ses formes.

Comme il a été question dans les rites de figuration par la prosopopée mimétique de figurer l’animal à chasser où chaque personne se reconnait dans ce dernier comme gratification anticipée du seul fait qu’il voulait manger à sa faim ou encore de répondre à une exigence consommatoire ou nutritionnelle et de favoriser la survie du groupe. Cette figuration rituelle primitive de la cérémonie du bois Caïman entendait regrouper les canaux d’énergies de chaque individu qui était présent pour communier dans l’idée de sauvegarder la vie de chacun de ses semblables dans une formule magique pas de vie en dehors de cet espace et que l’on doit serrer les coudes. En d’autres termes, cette narration d’accouplement plastique entre le primitif et la modernité s’inscrit même dans la logique de l’échec de l »homme avec l’apparition du monothéisme juif ou la religion animiste va se retirer du monde pour que les dieux puissent s’intérioriser en l’homme. Dès lors, l’homme sera la mesure de toute chose et se fera maitre de son existence par la parole et action et entend jouir l’effet de sa parole et de ses actions chez autrui. Il ne sera plus au service du corps social comme il a été le cas dans les sociétés primitives, au profit du clan, de la communauté mais au profit de lui-même, de son propre instinct dans l’idée de plier autrui à sa volonté pour sa propre jouissance.

Ses désirs lui pousseront à esthétiser tous les domaines de la vie en attente d’une pure satisfaction en retour. Sans oublier que la base du système capitaliste c’est la religion du salut qui s’imbrique dans un mime eschatologique ou chiliastique. C’est pour l’une des raisons que le plasticien Alexis veut un retour à la société primitive. Surtout la cérémonie du bois Caïman s’inscrit aisément dans ce visé que tout le monde puisse être heureux comme l’indique la prière védique qui demande que tous les hommes et femmes puissent consacrer leur vie à résoudre les problèmes fondamentaux de la condition humaine et à promouvoir la prospérité du monde en faisant le sacrifice leur devoir et leur vie. Le titre de l’œuvre n’est-il pas le sacrifice du calvaire? Le peintre fait rapport aussi à l’idée qu’un homme, le fils du dieu de la parole, serait mort pour le bonheur de l’humanité. Jean Robert Alexis veut créer une conscience humaine en butinant dans toutes les mythologies pour un syncrétisme religieux ou mythologique.

En somme, Jean Robert Alexis a cette volonté de prononcer sur l’état critique de la société haïtienne. A facture d’imagerie primitive et moderne, il conçoit son œuvre pour livrer son émoi. Cette forme d’expression figurative permet de saisir le réel et l’identifier pour pouvoir l’exprimer. Alexis pense à travers l’art et pose son équation de vie et par la magie communicationnelle artistique il espère que son expérience esthétique fait recette au niveau de la réception sensorielle et consommatoire. Sa foi dans les institutions rituelle lui gratifie une émission picturale pour matérialiser un besoin social. Son œuvre ne doit pas être reçue dans la mauvaise foi ou à des fins égocentriques mais un geste d’amour pour une gratification commune puisque c’est un culte de mémoire et qui demande de valoriser ce patrimoine immatériel pour sa transmission.

______________

N’hésitez pas à aimer les pages Facebook, Twitter et Instagram de Sibelle Haïti, à partir de ces liens :

https://www.facebook.com/SiBelleHaiti/

https://twitter.com/SiBelleHaiti?s=08

https://www.instagram.com/invites/contact/?i=1w2simhemzyle&utm_content=6j1ixsn

Laisser une réponse

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Input your search keywords and press Enter.