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40 ans du décret du 8 octobre 1982: l’organisation Jeunes Activistes Féministes d’Haïti fait le point 
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40 ans du décret du 8 octobre 1982: l’organisation Jeunes Activistes Féministes d’Haïti fait le point 

Par Walner Olivier

Le 17 novembre 2022, l’organisation Jeunes Activistes Féministes d’Haïti a commémoré les 40 ans du décret du 8 octobre 1982 « donnant à la femme un statut conforme à la Constitution et éliminant les formes de discriminations à son égard ». En cette occasion, le comité de cette structure féministe a organisé, à Jacmel, la première édition du Prix Femme Entrepreneure qui vient de récompenser trois gagnantes. Pour se rappeler le rôle primordial de cet instrument juridique dans l’émancipation des femmes en Haïti, la rédaction de Sibelle Haïti a rencontré la vice-coordonnatrice de JAFH, Cathiana Désiré.

 

Sibelle Haïti : Cathiana Désiré, vous êtes vice-coordonnatrice de l’organisation Jeunes Activistes Féministes d’Haïti-JAFH. Ce 17 novembre, vous venez de commémorer les 40 ans du décret du 8 octobre 1982, considéré comme un décret permettant aux femmes de jouir pleinement certains de leurs droits. D’entrée de jeu, en quoi consiste cette activité de célébration ?

 

C. D :  Simone de Beauvoir nous a rappelé qu’il « suffit d’une crise économique, politique ou religieuse pour que les droits de la femme soient remis en question. » Nos droits ne sont jamais réellement acquis. Et parce que nos droits ont été des résultats de combats, ils doivent incessamment être protégés. Cette commémoration a pour objectif la sauvegarde de nos droits. Beaucoup de femmes ne connaissent pas l’exclusion légale que nous avons dû subir et nous avons pour devoir de la leur expliquer. 40 ans de cela une femme mariée ne pouvait ester en justice sans l’autorisation de son mari…40 ans de cela une femme mariée ne pouvait ni louer, ni hypothéquer, vendre, acheter ou même recevoir en cadeau (biens, maisons, terres) sans le consentement de son mari. C’est révoltant quand même ces discriminations à l’égard de la femme inscrites dans nos codes.

 

S.H :  Pour cette commémoration, parlez-nous des activités qui ont été réalisées par les membres du comité de votre structure ?

 

C.D : Nous avons organisé un concours baptisé  » prix femme entrepreneure ». Elles [les femmes] ont déposé un plan d’affaires de leur entreprise et notre jury a sélectionné trois entreprises pour la finale. Toutes des entreprises de femmes à Jacmel.  » Nous avons eu trois finalistes. La première gagnante, Tanis Roodly,  a reçu 50 000 gourdes  pour son entreprise  « Transformation Paradis ». La deuxième, Sphanie Marie Lourdemie JULES , PDG de Sphanemielcreation  a reçu 30 000 gourdes. Et la troisième, Youdely Pierre, de « Délice Production » en a reçu 20 000.

 

S.H : Quelle est la valeur de ce texte juridique pour la société haïtienne en ce qui a trait à l’égalité des droits civils et politiques, notamment pour JAFH comme une institution féministe ?

C.D :  La lutte pour les droits civils et politiques de la femme en Haïti a commencé en 1934 avec la création de la Ligue Féminine d’Action Sociale. Cette lutte a continué en 1944, 1946 et a débouché sur la constitution de 1950 qui a donné à la femme haïtienne le droit de vote et d’éligibilité.  Nos droits civils ont été renforcés par la ratification du Pacte International Relatif aux Droits civils et politiques.  Notamment par l’article 17.1 de notre constitution en vigueur qui exige un quota de 30 % de femmes à tous les niveaux de la vie nationale. Le décret du 8 octobre est important dans la mesure où nos droits civils et politiques ne peuvent être effectifs en dehors de nos droits économiques.

 

S. H : Dans l’un de vos discours adressés au nom de JAFH, en s’appuyant sur ce décret, vous avez rappelé que – dans le mariage- « l’autorité paternelle est remplacée par l’autorité parentale ». Selon vos constats, ces droits octroyés par ce décret, sont-ils totalement effectifs dans la pratique ?

 

C.D : C’est l’article 12 du décret qui a remplacé la puissance paternelle par l’autorité parentale. Oui, c’est un acquis qui peut être réel mais qui exige aussi que les mères soient indépendantes économiquement. Il est intéressant de mentionner que bon nombre de femmes élèvent seules leurs enfants. Les pères sont très absents dans nos familles haïtiennes.

 

S.H : Vous avez évoqué le Code du travail haïtien, toujours dans votre discours portant sur la commémoration des quatre décennies dudit décret, pour un travail de valeur égale, la femme recevra un salaire égal à celui payé à l’homme ». Une obligation qui n’est pas souvent respectée. Que doit-on faire pour y arriver ?

 

C.D: En effet l’article 317 du code du Travail prévoit l’égalité salariale.  Cela n’est pas toujours respectée parce que les femmes font encore face à l’inégalité salariale et au harcèlement sexuel sur les lieux du travail par les patrons et autres employés. Je pense que le taux du chômage élevé en Haïti y est pour beaucoup. L’État haïtien doit s’investir dans la création d’emplois. Aussi, on devrait exiger les entreprises à plus de transparence. Il y a beaucoup de stéréotypes sur le genre qui pousse à croire que les femmes naturellement travaillent moins que les hommes à cause de leurs règles, de leurs humeurs changeantes ou leur grossesse. Ce qui est totalement faux, les femmes travaillent autant que les hommes. Regardez les femmes de la classe moyenne haïtienne !  Pour finir, les femmes à cause de leur vie privée ont du mal à travailler à plein temps et les recruteurs utilisent cela à leur encontre. Être mère d’un jeune enfant est un désavantage. Et aujourd’hui encore, il y a des sphères économiques où les femmes sont totalement absentes comme le transport.

 

S. B : Ce décret est un grand pas dans la lutte pour combattre les actes de discrimination infligés aux femmes. D’aucuns croient que la lutte franche qui appelle tout un chacun pour les éliminer est le flambeau qui aboutira à une société équilibrée. Ce qui forcera l’Etat à agir. Mais, face aux problèmes constatés, que recommande JAFH aux autorités haïtiennes ?

 

C. D :   Nous sommes plus de la moitié de la population. Nous avons combattu, nous aussi pour l’indépendance de notre pays. Aucun texte de loi ne doit, ne peut nous exclure. Aujourd’hui, il est impératif d’abroger toutes les lois qui excluent un groupe quelconque de la société. La loi, si elle peut ne pas être la même pour tous, doit avoir pour objectif l’équité.  C’est à dire, que la loi peut différer d’un groupe à un autre, seulement en cas de discrimination positive. Nous exigeons l’effectivité des lois qui combattent les discriminations. Et que les paroles et actions discriminatoires ne restent pas impunies.

 

S.B : S’il faut ajouter un dernier mot en conclusion, vous diriez quoi ?

 

C.D :  Comme disait Isabelle Alonso :  » Tant qu’une seule femme sur la planète subira les effets du sexisme, la lutte des femmes sera légitime  et le féminisme nécessaire. »

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