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Chapeau, poète !
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Chapeau, poète !

Par Stéphane SAINTIL

Il y a de ces nouvelles qui nous ôtent une part de nous-mêmes, dissipant notre candeur et nous font mal à nos souvenirs d’adolescent. La nouvelle, la mauvaise est tombée. Le poète n’est plus. Georges Castera-fils a pris, pour reprendre Gide, son repos du sommeil éternel. Et c’est tout un pan de notre sensibilité de lecteur qui en est affecté.

On le savait malade depuis quelque temps, mais devant l’évidence de son départ on se sent dépossédé de quelque chose qu’on peine à nommer, qui relève de l’indicible : une parole qui a bâti notre foi dans les mots; un souffle qui a su se prémunir de la stérilité des quotidiens fades; une voix qui par-delà les aléas du temps a conservé sa part de jeunesse; une façon de dire le réel/monde sans mièvrerie ni défaitisme. Le poète est parti et on est orphelins de tout ça….

L’adolescent que j’étais se remémore de sa première rencontre avec cet univers (qui lui est vite devenu familier) et de toutes les autres fois où il y a été en excursion, parfois pour le plaisir du texte, d’autres fois en quête de réponses qu’il n’avait pas trouvé ailleurs. Il en sortait souvent revigoré parfois troublé mais jamais déçu… Il se rappelle de son exigence : exigence dans la formulation, dans le traitement des thématiques, dans le respect des structures propres des langues et enfin dans la construction d’un style-Castera, reconnaissable entre mille.

Aujourd’hui encore, la vue du recueil des Cinq lettres (Éditions Mémoire d’encrier) sur les étagères de la BMC me replonge dans les allées de mon adolescence; je me revois déambulant dans les rues de la ville avec tes mots comme seule boussole :
Attention camarade… Prends les livres en otage pour ne pas te voiler d’incohérence, te mentir à voix basse. Et même quand la mort se glisse furtive dans la tête d’une mouche. Agis camarade, brûle les feux… (Les cinq Lettres)

La poésie de Castera c’est l’évocation des affres du quotidien et des jours sans pain, sans la mauvaise impression de lire un tract ou un mauvais manifeste d’un poète-militant :

« Sou plas sentann nan tete ti mari
La mizè ap koule kafe. »

« ….On tire lamentablement dans ma rue
Dire est déjà trop dire… »

C’est l’érotisme sans côtoyer l’obscène, c’est la célébration du corps de la femme sans l’objectiver.

« …Il y a le mouvement /de tes seins incohérents
Dans leur nudité de fleur renversée
Telles des écritures d’enfants… » ( L’encre est ma demeure)

C’est un fabuleux cocktail fait d’engagement, de sens de la formulation (loin d’un formalisme puéril) et de fidélité au réel. Ce ne serait nullement de l’exagération d’affirmer que l’historiographie littéraire haitienne et francophone est scindée entre un avant et un après Castera. En créole ou en français, il a tenu la barre de l’exigence au même niveau et a respecté le fonctionnement interne des deux langues.

Poète, l’adolescent que j’étais et l’adulte que je peine à devenir te remercie pour tes mots. Ces mots que je porte tel un talisman et avec lesquels je continue mon chemin.

Poète, tu peux partir en paix, tu as fait ta part de don.

Nous continuerons  à prendre les livres en otage!!!

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