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Lettre à la mer
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Lettre à la mer

Par Grégory Alexandre

Je ne savais pas qu’on pouvait mourir par absence de bleu. Il est des couleurs essentielles à la vie, des couleurs d’espoir et d’amour. Malheureusement, certains humains le savent mieux que d’autres.

Ton bleu a révélé à ma conscience tes désirs d’altérités, et tes voluptés de vivre en commun. Tu viens d’une île, c’est jamais assez de le dire, m’as-tu déclaré. Je ne sais pas trop pourquoi ai-je pris cette facheuse habitude de l’oublier.

Aujourd’hui, je fais le décompte dans le calendrier : vingt-et-un jours sans toi. Moi seul et le plafond. Parfois si loin quand la nuit approche et que la compagnie électrique, par ses caprices, veuille qu’on ne pense qu’à elle. D’autres fois, si près de la bougie allumée. Il est des plafonds si bavards, et mythomanes, ne serait-ce la fragilité des jours, on allumerait un feu pour les forcer à se taire. Le mien était plutôt calme avant le confinement.

Une fois couchée, ma conscience se taisait et faisait la place au sommeil des jours mouvementés. Des mouvements qui se diffèrent de temps en temps, et qui, par moments, changent de forme et d’odeur : La police et les voleurs , les manifestants, le patron qui n’arrête pas de chialer après moi, le soleil qui, quelquefois, nous replace au coeur de notre condition animalière.

Tous ces événements prenaient le dessus sur mon plafond. Toi, quand tu es là, dans ta robe étoilée, suave, exquise à me bercer, tes vagues m’emportent et ramènent mes rêves. Je n’ai jamais eu de temps pour écouter un plafond.

Pourtant, depuis vingt et un jours, celui-ci commence à parler sans arrêt dans ma tête. Cette araignée dans sa toile moins pour les insectes que mes rêves. Elle semble surveiller mon immobilité pour venir se lover dans mon nombril et me sucer et me vider de toute ma substance. Tous les jours, tuée, et elle revient le lendemain à la même place : suspendue au plafond. Et, malgré tout, à la circonférence de sa toile, ma vision l’habite comme un tatouage.

Tu es si loin de moi depuis vingt et un jours. J’ai envie de te déposer et te lancer, comme avant, mes rêves dans des tubes en plastiques, et te regarder les emporter dans tes flux. Dehors, il y a tout un arsenal d’araignées qui me surveillent , elles scrutent par fine technologie, le moindre de mes mouvements.

Chaque jour m’éloigne de toi et me rapproche de la toile d’araignée, pour qu’enfin me vomir à toi tous ces déchets largués à tes pieds nus.

Mon esprit se confine à la monotonie des voix lugubres du dehors. La radio, la télévision, j’éteins tout. Elles sont de connivence avec les toiles, me semble-t-il. Les voix font la prospection et la longiligne des trous à creuser. Et les toiles se multiplient mais, dans les premiers jours, j’avais encore la force de les chasser; elles reviennent toujours au même endroit, creuser le plafond pour m’enlever le restant de mes intimités.

Plus de nudité. De peur que je ne me fasse avaler par la grosse araignée du dedans. Elles sont multiples disent les voix du dehors. Contre ce, on me recommande le lavage systématique des mains. J’ai tout compris. C’est l’unique façon de me faire bonne conscience sur l’état de ma condition, de mes avenues ratées. Les routes empruntées qui ne dessinaient que le désir d’être autre.
Le besoin de me surpasser. On me demande de me laver les mains, un geste salvateur, disent-elles. Ne pas introduire mes doigts dans mes narines, mes yeux, ma bouche… Elles veulent me séparer de moi. Éliminer toute proximité de moi avec moi. Avaler toute intimité.

Tu es si loin. Avant l’exode, tu étais si près qu’il me suffisait d’ouvrir ma fenêtre pour te laisser rentrer. Ce temps est révolu!

Vingt et jours à attendre patiemment ma fin, ma ligne de mire. Le fil de ma vie se défile en boucles sous mes paupières. Les coeurs sur qui, juste le temps de jeter des fleurs, je ne m’en suis pas arrêté. Des amours manquées. Des histoires qui finissent comme elles ont commencé: ni queue ni tête. Les gestes ratés. Les pleurs gaspillées dans des amours basiques pourtant, on aurait pu bien les réserver aux nécessiteux.

Qui, d’un soir, a pris le temps de se parler face à face sans farce ni farcie? Depuis vingt et un jours, je me regarde et ne sais pas par quel bout commencer. J’étais surpris à voir ma tête dans le miroir. Je m’inventais plus beau. Tant que soit peu, elle n’est pas si mal, la découverte faite dans la glace. Si j’avais pris le temps de l’accepter et la soigner, auparavant.
Mais c’est peut être trop tard, me semble. Les araignées guettent à chaque carrefour. Sur toutes les surfaces, elles déposent leurs saletés invisibles.

Je viendrai à toi pour une dernière fois, me plonger dans tes profondeurs à la vacuité de mon âme perfide.

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