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Marilisse de Frédéric Marcelin: pour aujourd’hui et pour demain
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Marilisse de Frédéric Marcelin: pour aujourd’hui et pour demain

Par Rodney SAINTIL

Étudiant Mémorant en philosophie (ENS) ; Master Ouaga II (AUF)

 

Paru en 1903, le roman Marilisse de Frédéric Marcelin, marque un tournant dans les lettres Haïtiennes. Ce récit d’actualité est en quelque sorte le petit poucet de la trilogie romanesque de l’auteur, évoluant depuis sa parution dans l’ombre de Thémistocle Épaminondas Labasterre et la vengeance de Mama. Dans ce roman, Frédéric Marcelin met en valeur sa Vénus noire : Marilisse. En effet, Marilisse, l’Héroïne du roman, est le portrait type de la mère Haïtienne de nos classes laborieuses. Trompée, trahie et abandonnée par son concubin Joseph, elle sacrifie sa beauté, sa jeunesse et toutes ses ambitions pour s’adonner à l’éducation de sa fille Cléore. Dans sa pratique de vie, elle soulage la misère des autres, comme celle de Joseph, son concubin et de Philo, le mari de sa fille.

Mais, à partir d’une telle lecture, nous nous demandons quels sont les apports de Marilisse dans l’éducation de son enfant Cléore ? Cette éducation visait-elle l’autonomie de sa fille ? Peut-on considérer vraiment Marilisse comme la figure emblématique d’une femme ayant donné une bonne éducation à sa fille ? Pourrait-on la prendre vraiment comme un modèle d’éducation en plein milieu du XXIe siècle ? Pour cerner ce problème, nous allons regarder d’une part, que Cléore, par l’éducation de sa mère, peut bien être le reflet d’une bonne éducation transmise et d’autre part que cette éducation parait problématique dans le monde actuel. Alors, l’enjeu de ce texte serait donc de regarder la transposition d’une éducation traditionnelle depuis XIXème siècle, dans le monde d’aujourd’hui.

 

SECTION I : MARIE LA VENUS NOIRE DE SON ÉPOQUE

Dans cette section, il est question de présenter dans le roman de Frédéric Marcelin, ayant pour titre Marilisse, le portrait d’une femme qui s’est érigée en modèle dans l’histoire de notre pays. Loin d’ignorer ou d’exclure ce modèle de femme dans la société Haïtienne, Frédéric Marcelin, dans cette œuvre, bondit sur scène avec une délicatesse, le modèle phare de la femme Haïtienne. Dans cette perspective, il serait de présenter Marilisse comme le symbole d’une mère d’une part (A) et d’autre part, une défenseure de valeur sociale (B).

 

 

 

A) Marilisse le symbole des sacrifices d’une mère

Marilisse est cette femme qui a pris son destin en main. Elle qui a éduqué son enfant toute seule sans avoir de grand moyen. Comme la plupart des mères haïtiennes d’ailleurs. Plus de 60% de la famille Haïtienne serait monoparentale (MINUSTAH, 2007). En effet, La majorité des femmes élèvent toutes seules leurs enfants après l’abandon de leur père. Cela s’explique par plusieurs facteurs qui ont des impacts majeurs sur l’organisation de la vie sociale.

Toutefois, au XXIe siècle, constatant l’évolution du taux de la natalité, et s’appuyant sur cette enquête récente, rien n’a changé. Mais Marilisse, dans tout cela, reste et demeure ce modèle de femme, « Yon Fanm Vanyan» qui a su conserver sa valeur, sa dignité après avoir bien éduqué sa fille. Et elle l’a fait toute seule, au péril de sa jeunesse.

Bien que le père de Cléore (Joseph), connait l’existence de sa fille, il reste indifférent face à ses obligations. Prenons comme cadre d’illustration quand « Cessé à l’insu de Marilisse à contacter Joseph afin qu’il puisse le ramener à son devoir, mais rien n’avait fait devant la passion qu’il avait fait pour Tiyenne et qui l’avait mené à la folie.» (Marcelin, 2010, p. 116).

Cette partie du texte illustre le refus total de Joseph de prendre ses obligations comme père de l’enfant. Comme si, la non responsabilité paternelle serait un bien légué par la société haïtienne. Or celui-ci ronge les entrailles de nos familles. Cette dernière qui est un agent de socialisation pour reprendre les mots d’Althusser (Althusser, 1970, p. 48).

 

B) Marilisse, un modèle qui défend les valeurs sociales

Pour Marilisse, l’une des raisons de sa chute, c’est sa mauvaise plaçage dans le passé. Joseph étant le concubin, s’est enfuit sans dette, sans respect et sans regret. Par rapport à cette expérience, Marilisse opte dès lors pour le mariage et non le plaçage. Cette action de Marilisse est une rupture à la famille traditionnelle haïtienne et une acceptation d’une valeur moderne juridico-sociale qui parait beaucoup plus engagé. Car, dans le mariage, il y a un ensemble de contraintes (Sociale, économiques, juridiques) en s’imposant pourrait raisonner la folie. Ainsi, Marilisse est contre toute forme d’union libre pour sa fille bien aimée. Prenons cette scène dans le Roman comme illustration.

Philo Veritilius vient demander la main de cléore pour le plaçage. Voilà la réponse de Marilisse « Ce paltoquet qu’il croit qui peut se placer avec ma fille ? Mais regardez-moi donc cette tête de coucou avec ces yeux de poisson gâté. Ce nez de mélongène ! C’est pour son matelas que j’aurais élevé Cléore ! Non vraiment cela mérite une correction lâchez moi, je vous dis. Je vais lui flanquer une pile» (Marcelin, 2010, p. 113).

C’est alors que Philo a répondu que c’est la main de sa fille qu’il voulait avoir. Face à cela, Marilisse répond: «Reçu donc futur maman l’autorisation de l’embraser» (Marcelin, 2010). Voilà les mots ronflants que Marilisse dégage contre le concubinage ou toutes autres formes de plaçage. C’est à croire qu’une telle valeur devient donc le modèle type de toute famille haïtienne respectueuse.

`Par ailleurs, après le mariage, le couple a dû rencontrer des difficultés: Marilisse étant prévoyante, donne cette règle préventive à Philo tout en se montrant prête pour le combat. Ainsi se déroulent les faits : « elle se déclara à philo, en retroussant ses manches, que si jamais il touchait à sa fille, elle le ferait danser sans musique. » (Marcelin, 2010, p. 138). Plus tard à la chute de son concubin Joseph et son beau-fils, Philo, cette femme forte va prendre soin à la fois de Joseph et de Philo. Cet homme qui l’a laissée au bon vouloir de la société. Ce pauvre Joseph ! Après le mariage de Cléore il faudra qu’elle s’en occupe (Marcelin, 2010, p. 122).

 

SECTION II : DES LIMITES DE MARILISSE

Dans cette partie, il est question de présenter quelques limites de l’œuvre de Marilisse. Autrement, nous analyserons toute la difficulté de transposer l’œuvre de Marilisse en plein milieu du XXIe siècle. C’est ainsi que nous présentons dans un premier temps, comment l’éducation de Marilisse transmise par Cléore est une éducation bancaire (A). Dans un second temps, une tendance matriarcale qui peut être analysé dans les actions et propos de Marilisse (B).

A) L’éducation de Cléore, une éducation aliénante

Marilisse, bien évidemment, fait partie d’une figure dont le temps n’arrive pas à trouver les racines. Cependant, l’éducation transmise par cette vénus noire est bancale, traditionnelle. En effet, elle ne fait que construire une femme dépendante de son mari et qui n’a pas d’autre issu après lui. Prenons l’exemple du dialogue entre Césse l’un des conseillères de Marilisse et Joseph le père de cléore,

-Alors, il veut se placer avec Cléore dit Joseph ?

Comment, se placer ! Non c’est le mariage qu’il offre. Tout le monde trouve que c’est une chance inespérée. Il faut votre consentement étant le père. (Marcelin, 2010, p. 121).

Ces mots qui sortent du tréfond de l’être de Cessé, pour reprendre Jacques Stephen Alexis, sont mortifères. Le fait de dire que c’est une chance inespérable, peut être interprété d’une part que Marilisse n’avait espéré de mieux que Philo, et d’autre part qu’elle était figée dans une douce attente. Pour justifier cet argument nous pouvons prendre le fait que Marilisse a fait ses petites recherches sur philo et il a vu qu’il y a de l’avenir, fils ébéniste héritier d’un grand propriétaire de terrain.

En somme, l’Esperance de Marilisse n’était autre que de voir sa fille mariée avec un homme capable sur le plan économique. Ce fut un beau jour, un grand jour pour Marilisse que celui où elle vit sa Cléore, sa fille, marcher à l’autel, les yeux timidement baisés, comme il convenait tout de blanc vertu » (Marcelin, 2010, p. 125).

B) Une tendance matriarcale dans la société

Dans la réalité haïtienne, il y a toute une tendance qui veut construire une société matriarcale. Ce qui veut dire que si aujourd’hui les hommes dominent, qu’il est le chef de la famille, la femme dans un projet pas trop lointain veut renverser les normes. Cette tendance est présente dans les combats traditionnels qui réduisent la lutte des femmes à une question triviale, de répartition de tâches. Quand elle n’est pas dans ce dynamisme, les tenants veulent inverser les rôles ; ce qui consiste à ce que la femme devienne cheffe, et l’homme, l’être soumis.

Penons cette scène où, par exemple : Marilisse déclara à philo, en retroussant ses manches, que si jamais il touchait à sa fille, elle le ferait danser sans musique (Marcelin, 2010, p. 138). Ce comportement de Marilisse montre à quel point, elle s’érige en maitresse et possesseure et qu’elle détient tout le pouvoir au sein de la famille. Prenons un deuxième exemple, dans l’œuvre de Marilisse quand elle refuse de donner quelques doigts de Rhum à Joseph et Philo qui sont tous deux saouls; ou quand elle les a efforcé d’aller s’asseoir : Marilisse se levant de sa chaise, s’approcha dit à Philo : Allons taisez-vous, dit –elle rudement. Asseyez-vous là sur le banc tout près de Joseph (Marcelin, 2010, p. 163).

Cependant loin d’une conception matriarcale, la lutte des femmes est très noble du fait qu’elle revendique une correction des erreurs historiques graves. Ces dernières se sont réalisées dans le seul but de subalterniser le genre féminin au profit du genre masculin. Ainsi l’égalité devrait être une lutte tendre que même l’ignorant le plus convaincu ne peut passer en outre. C’est dans cette perspective que Judith Butler nous dit que le genre est une construction sociale.

Alors, la meilleure façon de résoudre ce problème d’inégalité de genre, c’est d’imposer, par l’éducation, une correction du côté obscur du passé . Toutefois, Fréderic Marcelin étant un ancien député, avait-il vraiment une telle conception de la famille Haïtienne? Mais, est-ce vraiment sa conception ou une description de la réalité haïtienne à l’époque ? Peut-on réellement dire que la conception de l’œuvre est celle de l’auteur?

 

 

Bibliographie

 

Althusser. (1970). Ideologie et appareil ideologique de l’Etat (éd. Classique des sciences sociales ). Canada

 

MINUSTAH. (2007, Novembre 20). Famille mono parentale et enfants en situation de precarite. Consulté le Juin 12, 2021

 

Manigat, L. F. (1995). La crise Haitienne Contemporaine (éd. Edition des Antilles). Port-au-Prince.

 

Marcelim, F. (2010). Marilisse (éd. Edition Fardin). Port au Prince, Haiti.

 

MINUSTAH. (2007, Novembre 20). Famille mono parentale et enfants en situation de precarite. Consulté le Juin 12, 2021

 

Marcelim, F. (2010). Marilisse (éd. Edition Fardin). JPort au Prince, Haiti.

 

MINUSTAH. (2007, Novembre 20). Famille mono parentale et enfants en situation de precarite. Consulté le Juin 12, 2021

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